Pour cette année, les dirigeants d’entreprise s’inquiètent des risques économiques et financiers, selon une étude d’Eurogroup Consulting. En revanche, ils ne semblent pas prendre complètement la mesure des changements induits par le dérèglement climatique et l’intelligence artificielle.

En 2024, les dirigeants d’entreprise semblent marcher sur une ligne de crête. Ni tout à fait optimistes ni tout à fait pessimistes, ils avancent avec prudence n’osant pas se prononcer avec certitude sur l’année qui vient. Alors qu’ils étaient 75 % à se considérer dans l’expectative pour 2023, les patrons oscillent désormais entre confiance (26 %), neutralité (16 %) et incertitude (35 %) pour les douze prochains mois, selon une étude dévoilée en janvier par Eurogroup Consulting, en partenariat avec BFM TV et la Chambre de commerce et d’industrie. "Je craignais une dégringolade plus forte que cela, commente Gilles Bonnenfant, président d’Eurogroup Consulting. Les dirigeants sont dans l’incertitude, ce qui veut dire que la balance peut pencher d’un côté ou de l’autre."

Confiance en berne

Comment se situe cette année par rapport aux précédentes ? "En 2022, juste avant Noël et alors que le variant Delta se propageait, nos chiffres étaient extrêmement positifs, note Gilles Bonnenfant. On avait la tentation de l’enthousiasme." Mais c’était sans compter la guerre en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie et des taux d’intérêt, l’inflation… "Nous nous sommes depuis rendu compte que nous étions dépendants et que le moindre grain de sable pouvait bloquer l’économie mondiale. Les niveaux de confiance ont perdu presque 20 % en deux ans. Aujourd’hui, les dirigeants ont les capacités de rebondir mais savent aussi que la crise pourrait se confirmer et s’amplifier."

"Les niveaux de confiance ont perdu presque 20 % en deux ans"

Plus de 500 dirigeants d’entreprise ont été interrogés sur leurs défis prioritaires pour cette année. La rentabilité arrive en tête de leurs préoccupations (45 %), suivie des ressources humaines (24 %, + 9 points par rapport à 2023) et de la transition écologique (14 %). En ce qui concerne les risques, les problématiques économiques et financières (inflation, dette, PGE, prix de l’énergie, etc.) sont citées en premier. "Je ne suis pas surpris par l’obsession du risque financier et de la rentabilité, commente Gilles Bonnenfant. La crise de 2008 a secoué notre système économique et, lors du Covid, nous nous sommes rendu compte que les fonds de roulement n’étaient pas suffisants. Désormais c’est un point clé pour les dirigeants, mais le vrai sujet ce sont les carnets de commandes qui sont très courts."

Désengagement des collaborateurs ?

Pour ce qui est des ressources humaines, il est intéressant de noter que post-Covid, en 2021, 80 % des patrons estimaient l’engagement de leurs collaborateurs "remarquable". À l’inverse, aujourd’hui, ils s’en inquiètent à 40%. Si Eurogroup Consulting estime qu’il n’y a pas eu de grande démission, contrairement à ce qu’ont connu les pays anglo-saxons, un certain turnover dans les embauches post-Covid, surtout dans les métiers tertiaires, a été enregistré. Gilles Bonnenfant rappelle que les sujets de transition écologique, encore trop sous-estimés stratégiquement par les patrons, sont importants aux yeux des collaborateurs pour qui le travail doit avoir du sens. Par ailleurs, le télétravail ne facilite pas le "compagnonnage", le "mimétisme", ni ne permet de passer du temps "gratuit" avec les salariés. Ce qui a un impact sur le niveau d’engagement de ces derniers.

Les grands absents

N’apparaissent pas dans les préoccupations majeures des chefs d’entreprise trois thèmes pourtant incontournables : les risques géopolitiques, l’intelligence artificielle et la cybersécurité. Du côté de la cybersécurité, "nous estimons qu’il y a deux populations d’entreprises. Celles qui ont traité le problème et une part significative qui ne l’a pas traité, probablement plus des TPE que des grands groupes", explicite le président d’Eurogroup Consulting.

Pour ce qui est de l’IA, 61 % des PME se sentent peu ou pas concernées et seulement 58 % la considèrent comme un levier de compétitivité. "Quand on sait que 30 % à 40 % des fonctions de l’entreprises vont être impactées par l’IA, je nous trouve très en retard", déplore Gilles Bonnenfant qui dresse le même constat pour la trop lente décarbonation de notre économie qui pèsera rapidement sur notre compétitivité si les acteurs ne prennent pas le taureau par les cornes. "Les entreprises peuvent être soit en défense, soit en attaque. Quand il y a une rupture, on finit un jour par perdre si on ne se positionne qu’en défense." Avis aux concernées.

Olivia Vignaud