En cinq a d’indépendance, l’ancien département d’Alstom a atteint une croissance moyenne annuelle de 40 % entre 2005 et 2008 et un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros. Entretien avec Pierre Bastid, président-directeur général de Converteam.

En cinq ans d’indépendance, l’ancien département d’Alstom a atteint une croissance moyenne annuelle de 40 % entre 2005 et 2008 et un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros. Entretien avec Pierre Bastid, président-directeur général de Converteam.

Décideurs. Comment résumeriez-vous l’histoire récente de Converteam ?
Pierre Bastid. Converteam, c’est l’apologie du leverage buy out (LBO). La société faisait partie du groupe Alstom au moment de l’arrivée début 2003 de son nouveau président-directeur général, Patrick Kron. Il devait mener à bien le redressement de ce fleuron en proie à des difficultés, financières notamment. à l’époque, les activités «?conversion de puissance?» d’Alstom – que j’ai rejoint en janvier?2004 avec pour mandat de la restructurer – perdaient de l’argent et étaient mal perçues par les groupes industriels. Les conglomérats ne savent pas, en général, bien gérer les business de plus petite taille qui sont moins dans leur cœur d’activités : non seulement parce qu’ils ne représentent souvent qu’une partie marginale de leur chiffre d’affaires, mais aussi parce que ce sont des business compliqués, de niche. Alstom cherchait à s’en séparer mais les grands groupes comme Areva ne s’y intéressaient pas. J’ai alors proposé à Patrick Kron, ce qu’il a accepté, la solution de l’indépendance. À compter de ce jour, le 10?novembre 2005, l’aventure LBO avec Barclays private equity comme sponsor a débuté. Au closing de l’opération, le fonds s’arrogeait 95?% du capital de Converteam, le solde revenant aux managers.

Décideurs. Cinq ans d’indépendance, deux LBO et une crise majeure…
P. B. En effet. En 2008, au moment du second LBO, qui a vu l’arrivée de LBO France, Lehman Brothers était l’arrangeur principal de la dette d’un milliard d’euros apportés par cinq banques. C’était juste avant que la banque ne fasse faillite. Il nous a fallu trouver des solutions pour compléter les 200?millions d’euros du ticket manquant de la banque américaine. Au final, Barclays PE, LBO France et le management, qui a réinvesti ses plus-values, détiennent chacun le tiers du capital.

Décideurs. Sur quels leviers vous êtes-vous alors appuyé pour redresser Converteam ?
P. B. La force du groupe est d’être spécialisé non autour d’un marché, mais d’une fonction, la conversion d’énergie. Or celle-ci est partout dans des processus industriels en constantes transformations. Par exemple, de nouvelles formes d’énergies apparaissent avec les éoliennes qui provoquent des ondes harmoniques. Celles-ci polluent le réseau en s’y connectant. Converteam dispose des solutions pour fluidifier ce nouvel apport d’énergie. Aussi, d’un point de vue financier, nous bénéficions d’un besoin en fonds de roulement négatif (BFR négatif : les clients payent une partie du prix avant la livraison, NDLR) et de capex (investissements, NDLR) quasi-nuls. Il n’y a donc pas de problème pour financer la croissance. Jusqu’en 2008, nous avons vécu avec une croissance annuelle moyenne proche de 40?%.

Décideurs. C’était avant le trou d’air de la crise. Comment l’avez-vous traversé ?
P. B. En 2009, nous commencions l’année avec une charge de travail colossale compte tenu des contrats signés en 2008. Cela nous obligeait à payer nos fournisseurs. Dans le même temps, les commandes pour 2010 ressortaient en baisse de près de 40?% dans les premiers mois de 2009. Or nous sommes dans une industrie à BFR négatif : nous devions donc engager beaucoup de frais pour payer les factures à nos fournisseurs pour livrer les commandes passées, alors même que nous collections 40?% d’avances client en moins. Notre BFR se voyait ainsi étouffé par cette dissymétrie des cycles.
Il nous fallait anticiper l’avenir et réduire les coûts pour préparer le temps des vaches maigres. C’est ce que nous avons fait. Sans geler les embauches, décision a été prise début 2009 de stopper le recours à l’intérim, de ne pas renouveler les contrats à durée déterminée et de favoriser les départs volontaires. Au niveau mondial, 700 de nos employés sont partis moyennant des négociations de gré à gré. Grâce au climat de confiance qui règne avec les syndicats et les représentants des salariés, le groupe n’a pas souffert d’un plan social et c’est une bonne chose pour tout le monde. Aujourd’hui, comme la croissance repart fort dans chacune de nos divisions, nous nous adaptons et recrutons à nouveau pour renforcer nos équipes.

Décideurs. Réductions de coûts opérationnels et des charges financières également ?
P. B. Tout à fait. L’an passé, nous sommes sortis de la dette LBO en refinançant 550?millions d’euros. Les 200?millions de mezzanine ont été substitués par des obligations convertibles et la dette senior par de la dette corporate classique. Le coût de la dette a donc été réduit et la dette nette du groupe ramenée à 300?millions d’euros. Nous avons maintenant une marge de manœuvre plus importante.

Décideurs. Quels sont les métiers et marchés de Converteam ?
P. B. Le groupe s’appuie sur les quatre segments principaux que sont l’oil & gaz et l’offshore, la marine, l’énergie et l’industrie. Ils représentent environ 80?% de nos prises de commandes 2009. Le solde est généré par les «?services?» que nous vendons de manière transversale. Pour l’oil & gaz et l’off-shore, qui fait 18?% de nos prises de commandes, Converteam propose toute une palette de convertisseurs capables de s’adapter aux contraintes des fluides sur les pipelines et de la compression du gaz. Alors que des essais sont réalisés pour installer les futures plates-formes à même le sol, au fond de la mer, nous sommes fiers de participer à cette révolution qui pose de réels challenges techniques et opérationnels à nos partenaires dans l’offshore. Sans entrer trop dans les détails, Converteam a participé au développement du premier moteur électrique capable de tourner à très haute vitesse (au-delà des 12 000 tours/minute). Avec nos moteurs et générateurs électriques, nous fournissons aussi bien les marines nationales comme l’US Navy que la marine marchande ou de plaisance. Le marché a beau être relativement peu dynamique en soi, Converteam bénéficie d’un effet de substitution important à l’avantage de la propulsion électrique, face aux classiques moteurs diesels. Le groupe réalise environ 13?% de son activité sur ce créneau.
Respectivement 16?% et 31?% des prises de commandes sont générées par les segments industrie – notre activité historique – et énergie. Pour ce dernier, les trois quarts des revenus sont réalisés dans l’énergie renouvelable où nous occupons, d’après le conseil en stratégie Frost & Sullivan, la place de leader mondial des convertisseurs pour éoliennes, avec une base installée de convertisseurs de plus de 20 gigawatts à travers le monde.

Décideurs. Comment se définit la valeur ajoutée de l’offre du groupe ?
P. B. La valeur ajoutée de Converteam, c’est trois pôles de savoir-faire. La connaissance des besoins du client nous permet de lui proposer du sur mesure et de maximiser ainsi son utilité quand nous développons les modèles mathématiques. Ensuite, notre expertise en termes d’ingénierie permet de faire le lien entre les composants, moteurs et convertisseurs. La technologie propre des composants que nous avons décidé de garder, comme l’électronique de puissance, les machines électriques tournantes ou l’offre logiciel, nous assure une position de leaders dans une kyrielle de marchés de niche.

Décideurs. Votre développement repose sur de la croissance organique. Cela est-il amené à changer ?
P. B. Nous avons besoin de comprendre les attentes spécifiques de chaque client. Jusqu’en 2008, notre stratégie a donc été de tout internaliser. D’autant qu’il n’y avait pas non plus de concurrent évident pour faire du build-up. Converteam dispose aujourd’hui de fonds et de facilités pouvant être utilisés pour des acquisitions qui aideront à développer notre stratégie.

Décideurs. Quel type de cibles attirera votre intérêt ?
P. B. La croissance externe doit se justifier par critère. Trois dimensions nous intéressent aujourd’hui : celle d’étendre notre présence à des régions comme l’Asie du Sud-Est, le Brésil ou l’Afrique, de renforcer notre présence sur certains marchés comme ceux du traitement des eaux ou du stockage de l’énergie, et de participer aux développements qui se font dans le monitoring et l’automatisation des process par exemple.

Les chiffres clés
• 1,153 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2009
• 173,6 millions d’Ebitda en 2009
• Environ 5 000 collaborateurs, dont 51 % d’ingénieurs
• Présence dans 17 pays
• 40 % de croissance moyenne annuelle entre 2005 et 2008

Dates clés
• 2004 : arrivée de Pierre Bastid qui doit redresser Converteam, alors déficitaire.
• 2005 : cédé par la division Alstom power conversion à Barclays private equity pour 130 millions d’euros.
• 2008 : LBO secondaire qui valorise le groupe à près de 2 milliards d’euros.
• 2009 : Converteam se refinance et sort de la dette LBO.
• 2010 : le groupe fête ses 5 ans d’indépendance. Le carnet de commandes est en hausse de 32 % sur les six premiers mois de 2010, par rapport à la même période en 2009.