Depuis 2007, ConvictionsRH travaille sur l'ensemble du territoire national pour accompagner les fonctions "ressources humaines" dans leurs évolutions marquantes et les placer au cœur des transformations dans les entreprises. Loïc Jouenne, associé, interroge l'impact de l'intelligence artificielle sur les directions des ressources humaines.

Décideurs : Quels sont les changements induits par l'IA dans les fonctions des ressources humaines ?

Loïc Jouenne. Permettez-moi de dresser tout d’abord un parallèle : si l’entreprise peut être assimilée à un organisme vivant, on parle de corps social ; la fonction RH en constitue alors le cerveau dans la mesure où elle est pleinement à la "manœuvre" pour guider et animer le dit corps social. On peut en déduire alors aisément que le développement de l’intelligence artificielle va influencer le fonctionnement de ce "cerveau". Avec un défi majeur à relever : éviter que l'artificialisation de la fonction (comme on le dit des sols) ne se traduise par la fin de la "biodiversité" au sein de l’entreprise, pour demain préserver, maintenir et développer un écosystème humain sain, diversifié et durable. Cela signifie pour les fonctions ressources humaines la nécessité de préserver leur part intuitive, créative, voire émotionnelle.

"Je ne crois pas qu’une IA, aussi "générative" soit-elle, soit génératrice d’engagement !"

L'IA ne peut-elle pas remplacer certaines tâches effectuées par les ressources humaines ?

Si je poursuis mon parallèle empirique avec le fonctionnement du cerveau, je dirais que la spécificité de la fonction RH réside dans sa capacité à gérer à la fois des processus relevant de son "hémisphère gauche", champ du logique et du rationnel, et des activités qui font beaucoup plus appel à l’intuition et à l’émotion de l’"hémisphère droit". L'IA peut certainement accélérer les transactions et les réponses logiques dans les domaines de la gestion administrative, de la paie, du "sourcing" en masse de candidats, pour ne citer que quelques exemples dont la littérature récente s’est déjà emparée. Ce qui nous intéresse surtout, c’est qu’elle doit effectivement contribuer à libérer la partie plus créative de la fonction ressources humaines. Par exemple, en permettant à l’intelligence humaine des DRH de se prononcer sur des profils originaux, atypiques, garants de la biodiversité sociale, ou encore en favorisant le travail sur des aires de mobilité fonctionnelle plus originale via des passerelles entre métiers que la seule exploitation de données en masse n’aura pas permis de déceler. Cette composante que j’ose qualifier d’"émotionnelle" évitera aux DRH une uniformisation de leur promesse employeur, et de l’expérience collaborateur proposée. Je ne crois pas qu’une IA, aussi "générative" soit-elle, soit génératrice d’engagement !

Quels seraient selon vous les effets d'une trop grande "artificialisation" ?

Le risque majeur, je l’ai pointé du doigt, serait en effet l’artificialisation de la fonction ressources humaines, avec sa conséquence immédiate : une fonction devenue imperméable aux changements, à la transformation, à la diversité, et donc moins motrice et moins adaptée à l'évolution de son corps social. J'ai pu constater à quel point, lors des nombreuses crises récentes, la capacité de résilience des entreprises a été intimement corrélée à la place centrale accordée à sa direction des ressources humaines et à son sens de l’urgence et des priorités face à des événements non "modélisables". C'est cette plasticité qu’il faut conserver et entretenir.

Vos conseils face à ces nouveaux enjeux pour 2024 ?

Réaffirmer simplement que l'heure des DRH inspirants et créatifs est (bien)venue.

Propos recueillis par Elsa Guérin

photo@ThomasBeynon