Alors que le modèle start-up, le présentéisme à outrance et le volume horaire passé derrière son écran constituent encore des modèles, d’autres façons de construire une entreprise existent. C’est le cas du slowpreneuriat dont nous parle Laure Dodier, fondatrice de Ma slow boîte. Elle s'inspire du mouvement "slow" né dans les années 1980 en réaction à l’accélération de la cadence de nos vies. 

Décideurs. Vous prônez le slowpreneuriat qui consiste à travailler moins mais mieux. Pourquoi ?

Laure Dodier. J’ai essayé de comprendre d’où venait l’injonction qu’il fallait travailler dur pour réussir. Plus d’un entrepreneur sur deux travaille plus de 50 heures par semaine. Il y a un héritage judéo-chrétien qui donne de la valeur à la souffrance et qui sous-entend qu’il faut se donner de la peine pour y arriver. Ensuite, des études scientifiques, dont les résultats ont parfois été extrapolés et mal interprétés, viennent corroborer cette croyance.

D’où vient l’idée qu’un peu de stress est bon pour la performance ?

D’une étude menée en 1908 sur des poulets et des rats. Deux chercheurs ont montré que les animaux n’accomplissaient pas spontanément des tâches qui leur étaient proposées. En revanche, lorsqu’ils les stressaient un peu avec des décharges électriques, les cobayes allaient, par exemple, plus facilement chercher la sortie du labyrinthe. Cet état d’éveil rendait meilleures leurs performances sur certaines fonctions de base du corps et du cerveau. De là a découlé l’idée qu’il y avait un bon stress alors qu’il s’agit davantage d’un réflexe archaïque de survie.

Peut-on réussir sans travailler dur ?

Oui. De toute façon, travailler 50 heures par semaine n’a pas de sens au regard des capacités de concentration du cerveau humain. Même si nous pouvons être plus ou moins efficaces en fonction de notre niveau de fatigue, sur des tâches cognitives complexes nous ne pouvois pas avoir 10 heures de travail effectif par jour. Dans les métiers manuels, physiquement fatigants, on voit bien les limites du corps. Notre tête a aussi les siennes. À trop vouloir se concentrer sur de grandes amplitudes horaires, les personnes s’épuisent et c’est là que les risques de burn-out apparaissent. Le présentéisme, avec lequel nous avons un vrai problème en France, n’est pas cohérent avec les capacités humaines.

Pour étayer votre philosophie, vous vous fondez notamment sur la loi de Pareto. De quoi s’agit-il ?

C’est une loi qui fonctionne dans plusieurs domaines et qui dit que 80 % de nos résultats sont produits par 20 % de nos actions. Même si ce pourcentage peut varier, cela veut dire qu’une action n’est pas égale à un résultat proportionné. Il est préférable de nous concentrer sur ce qui est efficace. Je recommande de nous interroger sur nos actions et d’identifier celles qui sont efficientes pour travailler moins mais mieux.

"80 % de nos résultats sont produits par 20 % de nos actions"

Que pensez-vous de l’idée qu’il faudrait sortir de sa zone de confort pour évoluer ?

Ce concept de zone de confort a été décrit dans les années 1990 par une psychologue, Judith M. Bardwick, à une époque où les entreprises américaines rencontraient un problème de productivité. Elle s’appuie sur la fameuse étude de 1908. Elle estime qu’en mettant les équipes dans un certain inconfort, elles deviendront plus performantes. Or la cinquantaine d’études menées sur le sujet depuis les années 1970 montre qu’au fur et à mesure que le stress augmente, la performance intellectuelle baisse.

Comment monter en compétences ?

Je préconise de s’interroger sur ce qui est confortable pour nous et de gagner en expertise dans ce domaine. Il y a de multiples façons de procéder pour évoluer dans le marketing, le développement produit ou la stratégie. Les dirigeants gagneraient à trouver les méthodologies qui leur conviennent. Par exemple, en communication, on pense à créer un site et utiliser les réseaux sociaux mais la pub TV, les avis Google, la radio ou la pub en ligne existent encore. Un client n’est pas atteignable que par un seul canal. Il n’y a pas de méthodes bonnes ou mauvaises dans l’absolu, il n’y a qu’un problème d’adéquation. À force d’être toujours centrés sur le client, les entrepreneurs oublient qu’ils doivent aller vers ce qui est naturel pour eux.

Comment motiver les collaborateurs ?

On a tendance à confondre le stress avec un levier réellement efficace, la motivation, car leurs effets peuvent être assez proches. Il y a un gros problème d’incompréhension entre les jeunes et les moins jeunes. Les plus âgés ont vu leur résistance au stress valorisée. Or les études montrent les effets néfastes du stress sur la santé et aujourd’hui on arrive déjà au travail avec un certain niveau de stress. Les jeunes veulent un travail qui ait du sens et ne pas avoir une pression supplémentaire. Bien sûr, certains ont besoin d’être challengés car c’est un levier chez eux mais ça ne veut pas dire les stresser. Les dirigeants sont appelés à avoir un management beaucoup plus adaptatif et à comprendre les leviers de chacun.

Propos recueillis par Olivia Vignaud