Introduit dans les années 1990, le concept de marque-employeur fait de plus en plus d’adeptes chez les entreprises surtout lorsqu’elles proposent des postes dans des métiers en tension. Bien travailler son image en interne et en externe participe à attirer et fidéliser les meilleurs.

"Bio de Danone me renouvelle de l’intérieur et ça se voit à l’extérieur." Ce slogan du géant agroalimentaire français destiné aux mangeurs de yaourts ne s’applique pas qu’aux gourmands. Les entreprises sont également concernées. Impossible de briller dans la durée aux yeux des clients et des candidats potentiels quand on est structurellement mal en point. La problématique du recrutement et de la rétention des talents est telle que, dans certains secteurs, les sociétés n’ont plus d’autres choix que de travailler avec soin leur image en interne et en externe afin d’attirer les meilleurs. C’est ce qu’on appelle la marque-employeur. Un concept inspiré du marketing. Comment les entreprises œuvrent-elles sur le sujet ? Quelles sont les bonnes pratiques ? Y a-t-il un risque de dissonance entre ce qui est promis et ce qui est vécu par les collaborateurs ?

Arme concurrentielle

Le concept de marque-employeur a été théorisé par Tim Ambler, un professeur de marketing à la London Business School, et Simon Barrow, le fondateur du cabinet People in Business, à une époque où les entreprises peinaient à recruter des talents. Simon Barrow emploie le terme une première fois en 1990 lors d’une conférence intitulée "Transformer la publicité de recrutement en arme concurrentielle". Six ans plus tard, il rédige avec Tim Ambler un premier article sur le sujet dans une revue scientifique, avant de déposer un brevet. Définition de "l’employer brand" ? "L’ensemble des avantage fonctionnels, économiques et psychologiques des emplois proposés par une entreprise en tant qu’employeur."

Promesses tenues

Peu à peu, le concept est adopté et les annonces de recrutements sont enrichies pour mettre en avant l’entreprise. Les frontières entre RH, marketing et communication commencent à être abolies. Avec les risques que cela comporte en matière de pratiques trompeuses ? "Il faut que la promesse et l’expérience se recoupent, insiste Tiphaine Galliez, directrice consulting chez Great Place to Work France. La promesse doit être tenue tout au long du parcours du collaborateur, de son recrutement et son accueil à son départ, en passant par la façon dont on l’engage au jour le jour et reconnaît sa performance."

Une marque employeur forte améliore de 50 % le nombre de candidatures très qualifiées, réduit de 28 % le turnover et diminue de 43 % le coût d’embauche

Manquer de lucidité ou tromper son monde peut avoir des effets désastreux. "Il y a une vraie réflexion autour de l’authenticité de la marque employeur, souligne Tiphaine Galliez. Beaucoup de périodes d’essai ne sont pas validées par les candidats ou ceux-ci restent dans l’entreprise mais deviennent amers." Pour mémoire, un recrutement raté coûte en moyenne 45 000 euros, donc autant éviter de se sur-vendre. D’après une étude de 2021 publiée par l’Insee, seuls 19 % des employés perçoivent un alignement entre ce que l’entreprise dit d’elle-même et leur expérience une fois recrutés. "On note aussi un impact négatif pour les collaborateurs déjà en poste lorsqu’ils constatent que les promesses faites aux candidats ne cadrent pas avec la réalité", poursuit Tiphaine Galliez.

Construire un persona

Les directions des ressources humaines ont bien compris que la marque employeur était un levier puissant. Selon une étude de 2022, signée Link Humans, une marque employeur forte améliore de 50 % le nombre de candidatures très qualifiées, réduit de 28 % le turnover et diminue de 43 % le coût d’embauche, puisque les besoins en aides intermédiaires, telles que les chasseurs de têtes, seraient moindres et les délais pour trouver la perle rare se verraient raccourcis.

Les outils et des méthodes existent afin de faciliter la construction de marques employeur cohérentes. Les entreprises sont invitées d’un côté à dresser un portrait-robot des candidats qu’elles ciblent, de l’autre à se pencher sur l’environnement de travail qu’elles leur offrent. Sur le premier volet, comme en marketing, elles peuvent créer un persona. C’est-à-dire un profil type du candidat parfait pour le poste à pourvoir : quelles sont ses expériences passées, ses compétences comportementales, ses motivations, son rapport à l’équilibre vie privée-vie professionnelle… Pour ce faire, les sociétés ont la possibilité d’aller sur LinkedIn ou d’interroger des personnes déjà en poste sur le même métier, ce qui permet de rédiger des offres d’emploi au plus proche des besoins.

Parfois les entreprises mettent en avant ce qu’elles estiment être important mais ce n’est pas toujours exactement les atouts qui convaincront les candidats

Selon une étude menée en 2022 par Randstad, des salaires et avantages attrayants restent la principale source de motivation des Français pour rejoindre un employeur (64 %), critère suivi par une ambiance de travail agréable, un équilibre vie privée-vie professionnelle respecté, des opportunités de carrière et la sécurité de l’emploi.

Déterminer ses valeurs

Les entreprises sont également appelées à se pencher sur les bénéfices qu’elles proposent à leurs collaborateurs sur le plan fonctionnel (utilité du poste), économique (avantages matériels et financiers) et émotionnels (sentiment d’appartenance, accomplissement personnel…). Elles peuvent notamment construire leurs valeurs en mettant autour de la table clients et collaborateurs. Sondages, ateliers… Tout est bon pour être au plus proche de la réalité, notamment sur la gestion des différents aspects relationnels. Comment les managers envisagent-ils leur rapport avec les collaborateurs ? Mettent-ils en place des temps d’échanges réguliers avec eux ? Comment pilotent-ils les feedbacks à distance avec le développement du télétravail ? Les entreprises s’interrogent aussi sur ce qui rassemble les salariés, ce qui les différencie de leurs concurrents ou encore leur rapport au territoire dans lequel elles évoluebnt. Elles peuvent également travailler sur les rémunérations et les perspectives d’évolutions. Pour sa part Great Place to Work propose 60 questions fermées (et quelques-unes ouvertes) qui permettent de se faire une idée des forces et des points à travailler.

Du concret

L’objectif ? Pouvoir aligner sa marque employeur extérieure sur sa marque employeur en interne. "Une fois que nous sommes d’accord sur la cible de candidats et sur ce qui fait l’identité de l’entreprise, nous essayons de créer un pont entre les deux", précise Tiphaine Galliez. Elle ajoute : "Lorsque l’on dispose du persona, on peut savoir quelles sont ses attentes vis-à-vis du marché du travail et les freins. Parfois, les entreprises mettent en avant ce qu’elles estiment être important mais ce n’est pas toujours exactement les atouts qui convaincront les candidats. Elles peuvent oublier une partie de l’argumentaire."

Le travail de mise à plat est également l’occasion de disposer de données concrètes à présenter aux candidats qui ne croient plus uniquement les recruteurs sur parole. Si ces sujets-là restent surtout l’apanage des RH, les directions générales peuvent s’en emparer tout comme les directions de la communication, du marketing et, de plus en plus, les directions RSE.

Les employeurs sont en capacité de mesurer l’impact tant quantitativement que qualitativement des politiques en place. Dans certaines organisations, les salariés sont invités à s’exprimer sur leur entreprise, à en devenir les ambassadeurs. Une activité qui peut être gratifiée mais qui, parfois, se base sur le volontariat sans contrepartie, preuve que l’entreprise a réussi son pari. Afin de maintenir ce niveau d’engagement, les sociétés doivent sans cesse œuvrer sur leur marque employeur de manière à rester attractives dans un monde du travail en constante évolution (travail hybride, semaine de quatre jours, arrivée de nouvelles générations, réputation online…). Impossible de se reposer sur ses lauriers !

Olivia Vignaud