Pour continuer à grandir et apprendre à mieux s’organiser, les start-up recrutent des C-levels, des cadres supérieurs ayant occupé un ou des postes de direction par le passé. Problème, certaines greffes ne prennent pas, voire épuisent les entreprises. Matthieu Laulan, cofondateur du club d’entrepreneurs Bootstrap et partner au sein de l’agence RH Ignition Program, revient sur les écueils à éviter.

Décideurs. Le recrutement de cadres supérieurs au sein des start-up est perçu comme un moyen pour elles de passer à la phase supérieure. Pourtant, cela ne fonctionne pas toujours. Pourquoi ?

Matthieu Laulan. Les C-levels peuvent apporter beaucoup aux start-up. Mais, parfois, quand elles commencent à en recruter, elles prennent trop tôt des personnes sorties de cabinets de conseil, de grands groupes ou de big tech qui ne sont pas adaptées à la gestion d’un petit business. Beaucoup se font avoir par ces profils rassurants qui savent convaincre un codir. Mais, dans un certain nombre de cas, ils peuvent précipiter la boîte car ils ne savent pas s’adapter à leur nouvel écosystème. Ils doivent être capables de mettre les mains dans le cambouis. J’ai pu constater qu’un mauvais recrutement coûte cher et peut emmener une entreprise jusqu’au redressement judiciaire en moins d’un an.

Comment doivent procéder les start-up ?

Aujourd’hui, beaucoup de services opérationnels sont externalisables. Au départ, cela a commencé par la tech, avec des sociétés qui permettaient d’externaliser les technologies. Depuis dix ans, des cabinets proposent les services de directeurs financiers seniors à temps partiel. Quand on a 20, 50 salariés, la plupart du temps on n’a pas besoin d’un DAF à temps plein et notre taille ne nous permet pas de sortir un salaire pour en recruter. Disposer d’un directeur financier qui travaille pour nous un ou deux jours par semaine s’avère complètement suffisant. Plus récemment, on voit aussi se développer des cabinets qui offrent des services RH sur le même principe.

Quel genre de profils de C-levels privilégier ?

Quand on monte une boîte, on est obligé de toucher à tout. Beaucoup de CEO de start-up ont entre 35 et 45 ans. Ils sont expérimentés et, pourtant, on les retrouve sur plusieurs fronts : la vente, les RH, le développement produit… Le tout avec une vue pragmatique d’entrepreneur. Quand une start-up recrute un profil senior, elle doit s’assurer qu’il ne va pas faire que de la stratégie, qu’il n’est pas là que pour donner la "big picture", qu’il n’aura pas la flemme d’appeler des clients et de comprendre ce qu’ils veulent et pourquoi. Or parfois, certains C-levels acceptent des salaires à la baisse pour donner une nouvelle impulsion à leur carrière. Même s’ils pensent pouvoir le faire, ils n’ont en réalité pas vraiment envie de se retrouver à assumer, parfois, des tâches de junior. Pour s’assurer qu’ils disposent de cette humilité, il faut effectuer des tests très opérationnels et observer leurs réactions.

"Hire slow, fire fast"

Quel est le bon moment pour recruter un C-level ?

Il faut que cela se fasse progressivement. Au début, on peut recruter quelqu’un qui a une grosse trentaine d’années. Le tout, c’est de s’assurer à chaque recrutement du besoin métier correspondant. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, l’entreprise ne doit pas attendre pour se séparer de la personne sous prétexte qu’elle est un cador. Comme le dit l’expression anglo-saxonne "hire slow, fire fast".

À quoi les start-up doivent-elles être attentives ?

Attention à l’onboarding. Souvent, c’est la catastrophe. Les CEO attendent le C-level comme le Messie et se disent : je le paie 100 k par an donc il doit se débrouiller tout seul. Or, il doit être accompagné pour comprendre les gens et l’industrie dans laquelle il évolue. Ensuite, les start-up doivent briefer les autres collaborateurs. Dans les jeunes entreprises, on donne parfois des titres à des employés juniors qui ne comprennent pas pourquoi, au bout d’un, de cinq ou dix ans, ils se retrouvent avec un senior au-dessus d’eux. 

Propos recueillis par Olivia Vignaud