La RSE est devenue un sujet en vogue dans les entreprises : ESG, ISR, écoresponsable… Les adjectifs et acronymes se répandent sans que l’on sache si ces démarches relèvent d’une réponse salutaire des entreprises face aux enjeux du développement durable ou plutôt de greenwashing.

Décideurs. Pouvez-vous rappeler ce qu’est la RSE et en quoi celle-ci est devenue incontournable pour les entreprises ?

Stéphane Canonne. La Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a été définie en 2008 par le professeur Alexander Dahlsrud comme l’ensemble des initiatives volontaires prises par les entreprises au-delà de leurs obligations légales qui intègrent des préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et leurs interactions avec leurs parties prenantes. Le sujet n’est pas nouveau mais le contexte sociétal des entreprises change. La prise de conscience et le sentiment d’urgence créés par les conséquences des activités humaines que l’on constate tous les jours ont engendré des pressions internes et externes sur les entreprises pour qu’elles s’engagent pleinement à diminuer leurs empreintes sociale et environnementale. Face à la pression des clients, des salariés, du législateur et des banques, les entreprises ont désormais la nécessité d’agir de manière responsable envers la société et, d’une certaine façon, réconcilier l’entreprise avec ses parties prenantes sur des intérêts contradictoires à court terme. Elles doivent créer de la valeur économique, sociale et environnementale pour l’ensemble de leurs parties prenantes, au-delà des actionnaires et des clients pour se positionner dans la société au sens large. Elles endossent ainsi une responsabilité politique envers la société par l’intermédiaire de ce qu’elles proposent pour contribuer à résoudre les grands problèmes sociétaux. En cela, La RSE n’est plus un artifice sympathique mais un impératif stratégique.

Quels bénéfices sont attendus pour les entreprises ?

De plus en plus d’entreprises reconnaissent la nécessité d’adopter des pratiques business responsables pour répondre aux attentes des parties prenantes et se différencier de la concurrence. La RSE est perçue aujourd’hui comme indicateur d’excellence dans les affaires. Elle permet notamment d’améliorer l’image de l’entreprise auprès des clients, développer l’engagement des équipes pour donner du sens, faciliter l’accès aux capitaux par des taux préférentiels et maîtriser les risques opérationnels associés aux évolutions réglementaires. Ainsi, elle aide à la viabilité de l’entreprise sur le long terme. Plusieurs études récentes ont d’ailleurs montré une corrélation partielle entre une démarche RSE ambitieuse et les résultats financiers, notamment en matière de valorisation de l’entreprise.

Comment les entreprises doivent-elles intégrer la RSE dans leur stratégie ?

Une première réponse repose sur une approche de conformité et de réduction des risques. L’entreprise entreprend des démarches RSE pour montrer leurs engagements dans la réduction de leur empreinte sociale et environnementale. Comme la RSE est une démarche propre à chaque entreprise et chaque secteur d’activité, il faut l’adapter à ses enjeux, sa stratégie et sa culture. Cela passe par la prise en compte des attentes des parties prenantes et la réalisation d’une mesure d’impact social et environnemental précise, telle que le bilan carbone ou des analyses du cycle de vie (ACV) des produits. De là, les entreprises construisent leurs plans d’action en embarquant toutes les équipes concernées. L’entreprise a alors une responsabilité de transparence avec la communication de leurs actions vis-à-vis des 17 objectifs de développement durable. Elle doit surtout bien identifier les indicateurs ESG sur lesquels elle souhaite piloter sa performance globale. Pour cela, l’engagement du dirigeant est essentiel dans la réussite de la démarche RSE qui doit être ancrée dans les priorités stratégiques du Comex.

"La RSE est perçue aujourd’hui comme indicateur d’excellence dans les affaires mais n’est pas à la hauteur des enjeux"

Est-ce à la hauteur des enjeux ?

Malheureusement non. La RSE permet à l’entreprise de coller aux attentes des parties prenantes et de communiquer sans remettre en cause son business model. La réduction de son empreinte sociale et environnementale est souvent insuffisante face à l’ampleur des transformations à conduire. Les enjeux de décarbonation, restauration de la biodiversité, circularité, inclusion sociale, accès à une alimentation et des soins de qualité pour tous sont tels qu’ils nécessitent une transformation inédite des systèmes de production et de consommation de l’énergie, de l’alimentation, des transports ou encore de l’habitat. Sur le sujet climatique, par exemple, moins d’une grande entreprise sur quatre dans le monde aujourd’hui a mis en place des actions permettant de limiter le réchauffement climatique de la planète de 1,5 degré d’ici à 2050, selon une étude récente. Si nombre de dirigeants sont conscients de l’importance du sujet, beaucoup ne savent pas comment avancer. Les sujets sont complexes. Les dimensions environnementale, sociale et économique sont interdépendantes et souvent contradictoires.

Comment aller plus loin ?

Les sociétés doivent tout d’abord définir une vision claire de leur utilité auprès de la société, leur raison d’être, et structurer leur action autour d’engagements forts. Elles doivent intégrer les enjeux sociétaux au coeur de la façon dont elles conçoivent leurs activités et transformer toute leur logique de fonctionnement, c’est-à-dire leur business model. Certaines entreprises en pointe sur ces sujets font le choix radical de business models dit "régénératifs" comme un type d’aspiration, par lequel elles cherchent activement à rectifier les dommages environnementaux et sociaux causés au cours des dernières décennies passées. On peut citer les entreprises Plastic Bank, Pollustock, ou encore Gaiago, qui toutes dans leur secteur cherchent à contribuer de manière positive aux enjeux du développement durable comme étant au coeur de leur proposition de valeur.

"Les transformations nécessaires des business models nécessitent une coopération avec tout son écosystème"

Que changent ces nouveaux business models ?

Les transformations nécessaires des systèmes énergétiques, agricoles, ou de mobilité nécessitent une coopération avec tout son écosystème qui dépasse les frontières des secteurs d’activité. Comment, par exemple, appliquer seul les principes de l’économie circulaire, comme la réutilisation, la réparation, ou encore le recyclage ? Comment engager une transformation des usages, une incitation à la sobriété, sans engager les clients et toutes les parties prenantes ? Comment décarboner un secteur d’activité complet comme l’automobile ? Les entreprises ont besoin de s’associer avec des partenaires et de créer des synergies permettant de surmonter les obstacles techniques et de changer d’échelle. La capacité à agir collectivement au-delà de sa sphère d’activité classique devient essentielle. Les entreprises ne se trouvent pas au centre des transformations, elles doivent en être les catalyseurs. La complexité des problèmes associée aux transformations des entreprises vis-à-vis des enjeux du développement durable, requiert des actions collectives impliquant les acteurs au-delà des frontières sectorielles. Nous voyons ainsi émerger des formes d’organisation, appelées écosystèmes d’affaires, qui permettent d’une certaine façon, un changement de paradigme, une révolution copernicienne où le projet central n’est plus lié à une entreprise mais à un objectif commun, un projet collectif. Ils proposent une approche systémique où travaille une coalition d’acteurs hétéroclites à la réalisation d’une proposition de valeur commune.

Quels sont ces écosystèmes permettant de conduire les transformations nécessaires ?

Les écosystèmes sont des réseaux d’acteurs pouvant englober non seulement des entreprises partenaires, mais aussi les usagers, les financeurs, les collectivités, des instituts de recherche, des start-up, chacun ayant un rôle distinct et important à jouer dans la réponse à un problème sociétal. Ils sont des multi-entités, constituées de groupes d’entreprises n’appartenant pas à un seul secteur. Les relations combinent des aspects de concurrence et de collaboration, impliquant souvent une complémentarité entre différents produits et capacités. Sur les problématiques de développement durable comme l’autonomie énergétique bas carbone ou l’économie circulaire, il apparaît que les territoires ont un rôle prédominant. La proximité mais aussi l’attachement à un territoire facilite en effet les synergies d’acteurs différents, que ce soit les entreprises, les collectivités locales, les utilisateurs dans un but d’adresser localement les enjeux environnementaux ou sociaux. C’est par exemple le cas des écosystèmes territoriaux d’hydrogène qui associent producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités et usagers. La capacité des entreprises à interagir avec les acteurs de leur écosystème autour d’une finalité durable est désormais le nouveau paradigme auquel les dirigeants doivent faire face.