La présidente de l'Institut français des administrateurs revient sur la question des salaires des dirigeants et sur l’importance du rôle des conseils d’administration. Elle dénonce avec vigueur le mouvement qui tend à les cantonner à un rôle d’organe de contrôle, limitation renforcée par la récente ordonnance sur les comités d’audit alors qu’ils ont pour mission essentielle de participer à la stratégie de l’entreprise.

Décideurs. Cette année a vu éclore une nouvelle polémique sur la rémunération des dirigeants. Quelle est votre réaction??

 

Agnès Touraine. Cette polémique a mis à jour des pratiques choquantes. Je ne peux que regretter ces affaires, qui sont autant de cas dans lesquels la gouvernance est mise à mal. Il n’est pas acceptable que des éléments apparaissent a posteriori. L’information et la transparence sont au cœur de nos missions. Il ne doit pas, il ne peut pas y avoir de surprises. Et lorsque la rémunération ou l’avantage supplémentaire est accordé a posteriori, il faudrait à mon sens réunir le comité des rémunérations à titre exceptionnel. Il faut prendre conscience de l’importance et de la difficulté de la mission confiée aux comités de rémunération. Leur mission est particulièrement exigeante, les systèmes de rémunération étant parfois extraordinairement complexes. Nous appelons les administrateurs membres de ces comités à suivre des valeurs d’équilibre, d’alignement des intérêts et de cohérence. Je pense également que le vote des actionnaires dans l’attribution des rémunérations est absolument fondamental. L’IFA est favorable au say on pay. Il faut également se poser plus largement la question de la légitimité des rémunérations exceptionnelles des preneurs de décision. Le succès des missions fait partie du rôle d’un dirigeant?!

« Il est essentiel que les conseils d’administration puissent se consacrer à la réflexion sur la stratégie à long terme de l’entreprise »  

 

Décideurs. Quels sont les sujets de préoccupation de l’IFA??

 

A. T. L’ordonnance du 17?mars 2016 transposant la directive européenne sur l’audit, entrée en vigueur le 17?juin, offre la possibilité au Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) de sanctionner les administrateurs membres du comité d’audit de sociétés cotées sur les missions non audit notamment. Ce qui nous frappe, au-delà de la sanction, disproportionnée par rapport à la rémunération des administrateurs, c’est le fait que l’on institue un système de défiance généralisée. L’ordonnance aboutit à un mécanisme absurde car le H3C, organe régulateur des commissaires aux comptes, peut sanctionner les membres du comité d’audit alors que ce sont ces mêmes membres qui nomment les commissaires aux comptes?! Finalement, tout le monde devient suspicieux…

 

Décideurs. Quel est le sens de cette réforme, s’inscrit-elle dans un mouvement plus général??

 

A. T. Cette ordonnance va dans le sens de la tendance actuelle anglo-saxonne donnant un plus grand pouvoir aux actionnaires. Ce qui me gêne c’est que le conseil soit de plus en plus utilisé comme un organe de contrôle, alors que son rôle prioritaire est de participer à la stratégie à long terme de l’entreprise. Pour exemple, aux États-Unis, les conseils d’administration ne passent que 5 % de leur temps sur la stratégie. Et c’est une grave erreur car dans un environnement où tous les business models changent, il faut que le conseil consacre du temps à une de ses missions clés, la réflexion sur la stratégie de l’entreprise. C’est la réelle problématique actuelle autour de la gouvernance.

 

Décideurs. Quelle réponse peut-on apporter à ce mouvement??

 

A. T. Il faut encore et toujours œuvrer pour plus de transparence et de professionnalisme des administrateurs. Et, il s'agit de repenser l’approche du risque en entreprise. Celui-ci est autant une opportunité, et il est nécessaire qu’il y ait un alignement des intérêts entre les parties prenantes du risque.

 

Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot