Que serait-il arrivé si Travis Kalanick avait trouvé un taxi disponible à Paris en 2008 ? Uber n’existerait pas. « L’ubérisation » encore moins. Maintenant, il fait partie des vingt-cinq mots les plus recherchés sur Google et tend donc à s’incruster jusque dans la langue française. Zoom sur un phénomène qui touche l’entreprise, jusqu’à la fonction ressources humaines.

Une révolution est en marche, et ce n’est que le début… VTC contre taxis s’affrontent porte Maillot et avec Airbnb, les hôtels crient au scandale. Les librairies tremblent devant Amazon. Les banques frémissent face aux plates-formes de crowdfunding comme Kisskissbankbank. Les avocats craignent Weclaim et autres legal start-up. Les notaires se méfient de Testamento. Le développement d’Uber a fait naître un néologisme qui remet en cause le système économique traditionnel, mais pas seulement. Partant du principe que les utilisateurs de l’application  sont les mêmes que les travailleurs en entreprise, le service des ressources humaines est une des premières fonctions ébranlées par ce bouleversement. L’Executive Master RH de Sciences Po, dirigé par François Eyssette, ex-directeur des ressources humaines de Bic, s’aventure à parler « d’ubéRHisation ». C’est donc autour de ce sujet que l’école de la rue Saint-Guillaume a rassemblé, le 18 février dernier, Frédéric Rey-Millet d’Ethikonsulting, Nathalie Nassar de Korn Ferry, Xavier d’Aumale de Blablacar, Frédéric Gautier de Dassault Systèmes et Franck Aime de Danone.

 

Frédéric Rey-Millet, qui introduit la matinée, se fait fort d’un constat : l’ubérisation se caractérise par la simplicité, le fun et l’esprit communautaire. Peut-on en dire autant pour nos DRH ? Si l’entretien annuel est à dépoussiérer et que la culture d’entreprise ne provoque pas toujours l’adhésion, Nathalie Nassar, senior partner de Korn Ferry, reste optimiste : « L’avenir des directeurs des ressources humaines relève plus de la transformation de la fonction que de sa disparition. » Chez Blablacar, la question ne se pose pas. Le site de covoiturage est né de la digitalisation. Le head of talent acquisition Xavier d’Aumale explique que l’ubérisation se traduit déjà dans la gestion des candidatures. Avec plus de 500 CV par mois, les outils de traitement sont la priorité : « Aujourd’hui, nos candidats passent par des filtres digitaux et nous les évaluons principalement sur l’adéquation à notre culture d’entreprise. » L’entretien classique se dématérialise grâce à des vidéos et des mises en pratique. Un projet de gamification est aussi en cours. Et le candidat n’est plus le seul à devoir séduire l’entreprise : l’inverse est également valable. Pour preuve, le rapport à l’employeur évolue. Le travail à la tâche se valorise, bien loin des idées reçues de précarité, avec l’arrivée d’une main d’œuvre qualifiée et 2,8 millions d’indépendants répondent à la demande de flexibilité des entreprises. Chez Dassault Systèmes, la disruption est dans l’ADN du groupe. Pionnière de la 3D, de la création de plates-formes business et de la modélisation, l’entreprise conserve une longueur d’avance. Frédéric Gautier, vice-president people EMEA, ne perçoit que deux issues : « Soit les ressources humaines ne s’adaptent pas et sont prêtes à intégrer le musée d’histoire naturelle, soit on accepte et on y travaille ensemble. » Le choix n’est plus à faire. « Les professionnels RH, généralement, pèchent quand il s’agit d’innover, notamment en utilisant les données qu’ils possèdent. Mais tout n’est pas bon à prendre, il est nécessaire de garder le contrôle sur ces nouveautés. » En exploitant le big data, la direction des ressources humaines fait preuve d’audace …  caractéristique principale de Dassault. Franck Aimé, corporate organization development and social dynamics vice-president de Danone donne raison à Frédéric Gautier et y voit « plus d’opportunités que de risques ». L’ubérisation reste tout de même un challenge pour cette entreprise d’agroalimentaire du CAC 40 et quasi-centenaire. Le digital prend aussi ses marques dans la formation, avec le e-learning : baisse des coûts, accès facilité, renouvellement des programmes… Même si le propos est à modérer : « Le digital n’a de sens que s’il est au service d’une stratégie. » Les ressources humaines de Danone jouent donc un rôle tactique dans l’accompagnement des usages liés à l’outil : les pratiques managériales ont été retravaillées pour moins de contrôle et plus d’autonomie.

 

François Eyssette conclut : « Finalement, prendre des risques, c’est ce qui est nouveau pour les ressources humaines. » Pour une fonction trop souvent dévalorisée, comme en témoigne la chanteuse Anaïs : « D comme déconnecté, R comme brasser de l'air, H comme la hache de guerre » … DRH, à vous de prouver le contraire !

 

 

Retrouvez l'intégralité de la conférence : http://www.sciencespo.fr/executive-education/uberhisation-quel-avenir-pour-la-fonction-rh

 

 

V. L.