Par Xavier de Jerphanion, avocat associé. Chassany Watrelot & Associés
La loi du 5 mars 2014 modifie en profondeur le mécanisme de financement de la formation par les entreprises et crée de nouveaux outils visant à rendre effective la mise en œuvre de l’article L6321-1 du code du travail qui définit l’obligation de formation par l’employeur de ses collaborateurs.

Après la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, celle du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale constitue la seconde réforme sociale d’ampleur du quinquennat actuel. Outre une remise à plat du financement de la formation professionnelle tout au long de la vie, la loi définit deux nouveaux dispositifs : le compte personnel de formation (CPF) et l’entretien professionnel obligatoire.

La remise à plat du financement de la formation
La loi du 5 mars 2014 simplifie l’actuel dispositif en instituant une contribution unique à la charge de l’employeur qui sera obligatoirement versée à un seul organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) chargé ensuite de redistribuer et mutualiser le fruit de cette collecte. Cette nouvelle contribution au financement de la formation professionnelle représente un pourcentage du montant des rémunérations brutes versées à compter de 2015 qui s’élèvera :
- à 0,55?% pour les entreprises de moins de 10 salariés ;
- à 1?% pour les entreprises d’au moins 10 salariés.
Les entreprises d’au moins 10 salariés pourront toutefois minorer cette contribution à 0,8?% de leur masse salariale si, par accord d’entreprise conclu pour 3 ans, elles s’engagent à consacrer chaque année au moins 0,2?% de leur masse salariale au financement du CPF de leurs salariés (cf. infra). Le point majeur de la réforme concerne les entreprises d’au moins 10 salariés qui devaient jusqu’à présent reverser à l’administration fiscale la part non utilisée des sommes (0,9?% de la masse salariale) devant obligatoirement être affectées au plan de formation. Or cette obligation fiscale disparaît totalement pour ces entreprises qui seront désormais astreintes au seul versement de la nouvelle contribution unique de 1?% (alors que leur contribution totale représentait entre 1,05 et 1,6?% de leur masse salariale en fonction de leur effectif). Il pourrait ainsi être tentant de croire qu’avec cette réforme les entreprises concernées pourraient faire l’économie de ce «?0,9?% plan de formation?» mais ce serait faire l’impasse sur les dispositions du Code du travail (1) qui imposent aux entreprises d’assurer l’adaptation de leurs salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi en finançant les formations idoines, le non-respect de cette obligation étant sanctionnée par la jurisprudence. En réalité, par la suppression du «?0,9?% plan de formation?», le législateur a souhaité que les entreprises soient responsabilisées en abordant leur politique de formation non plus comme une contrainte fiscale mais comme une logique d’investissement, non plus comme une «?obligation de financer?» mais comme une «?obligation de faire?».

Des outils au service de la progression professionnelle
La loi du 5 mars 2014 définit de nouveaux outils dont la vocation est de permettre au salarié «?de progresser au cours de sa vie professionnelle?» (2). Le compte personnel de formation, successeur du DIF à compter du 1er janvier 2015, sera ouvert dès l’entrée d’une personne d’au moins 16 ans dans la vie professionnelle (salarié, demandeur d’emploi, apprenti, contrat de professionnalisation) et ce, jusqu’à son départ en retraite. Il s’agira d’un outil dématérialisé dont la gestion sera confiée à la Caisse des dépôts et consignations. Le CPF sera crédité de 24 heures de formation par année de travail à temps complet jusqu’à l’acquisition d’un crédit de 120 heures puis de 12 heures par année de travail à temps complet dans la limite d’un plafond de 150 heures. Un système d’abondement supplémentaire pourra être défini par voie d’accord d’entreprise, de branche ou au sein d’un OPCA. Les heures inscrites sur le CPF demeureront acquises à son titulaire et seront intégralement transférables en cas de changement de situation professionnelle ou de perte d’emploi. Les droits acquis sur le CPF ne pourront être mobilisés que sur l’initiative de son titulaire pour suivre des formations qualifiantes ou certifiantes correspondant au besoin de l’économie, pour acquérir le socle de connaissances et de compétences (qui sera défini par décret) ou dans le cadre d’une action de validation des acquis de l’expérience. La mobilisation du CPF par un salarié se fera librement lorsque la formation se déroulera en dehors du temps de travail mais, sauf exception, avec l’accord de l’employeur si elle doit se dérouler pendant le temps de travail. Les frais pédagogiques et annexes de la formation du salarié seront pris en charge par l’employeur si celui-ci a conclu un accord d’entreprise sur le financement du CPF ou, à défaut, par l’OPCA. L’employeur devra en outre maintenir la rémunération des heures de formation se déroulant pendant le temps de travail.

La loi crée également un nouvel entretien professionnel biennal qui ne devra pas porter sur l’évaluation professionnelle du salarié. Cet entretien, obligatoire depuis l’entrée en vigueur de la loi, doit être consacré aux perspectives d’évolution professionnelle du salarié notamment en termes de qualification et d’emploi. Il devra donner lieu à la rédaction d’un document dont une copie sera remise au salarié et sera systématiquement proposé au retour de certaines absences (maternité, congé parental, longue maladie…). Par ailleurs, tous les 6 ans, l’entretien professionnel fera l’objet d’un état des lieux visant à vérifier que le salarié a bénéficié des entretiens professionnels biennaux et à apprécier s’il a :
- suivi au moins une action de formation,
- acquis des éléments de certification
- bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle.

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, si un salarié, au cours de ces 6 ans, n’a pas bénéficié des entretiens biennaux et de deux des trois mesures susvisées, son CPF devra alors être abondé par l’entreprise à hauteur de 100 heures s’il est à temps plein et de 130 heures s’il est à temps partiel, cette «?sanction?» étant assortie pour l’entreprise du versement à l’OPCA d’une somme forfaitaire dont le montant sera déterminé par décret.

Il est bien évidemment beaucoup trop tôt pour mesurer les conséquences de cette réforme car le rôle que joueront les entreprises dans sa mise en œuvre sera déterminant ainsi que le soulignait récemment M. Michel Sapin : «?c’est une réforme globale qui prend en charge tous les aspects de la formation. Elle remet l’individu au centre et parie sur la responsabilité des entreprises?».

1 Articles L6321-1 et L6331-1 C. trav.
2 Article L6314-1 C. trav.