Par Jean Christian Larrain et Benoît Lemmel, associés, Génie des Lieux
Les directions des ressources humaines tiennent aujourd’hui toute leur place dans la conduite des projets immobiliers, alors qu’elles en étaient jusqu’à récemment, plus ou moins sciemment, tenues à l’écart.

Décideurs. Comment expliquer que l’accompagnement du changement semble aujourd’hui stratégique dans la conduite de ce type de projets ?
Jean Christian Larrain. On entend parler depuis longtemps de «?conduite du changement?» sans vraiment savoir ce qui est mis derrière ce terme. Les directions qui traditionnellement conduisent ces projets - immobilier ou services généraux - sentant bien qu’il faut accompagner les collaborateurs, se tournent souvent vers la direction de la communication, quitte à trop investir dans un «?packaging?» jusqu’à tenter de faire d’un déménagement un événement quasi festif (ça s’est vu !). Mais conduire le changement ce n’est pas ça, et la montée en puissance des RH dans les projets de transformation n’est pas pour rien dans une approche nouvelle, plus exigeante, et pour tout dire, plus performante.

Certains maîtres d’ouvrage ont compris en effet que ces projets ne sont pas simplement «?techniques?» mais qu’ils impactent le cœur de l’entreprise : son organisation, son mode de management, sa culture ; avec tous les risques qui en découlent, mais aussi toutes les opportunités de transformation qui sont offertes. Les missions qu’ils nous confient ont pour objectif de mettre en congruence l’environnement immobilier et l’aménagement des lieux de travail avec la stratégie, les pratiques managériales et l’organisation de l’entreprise. Or, même s’il est en général admis par tous qu’évoluer, et donc changer, est vital pour l’entreprise, la mise en œuvre pratique se heurte quasi systématiquement à l’incompréhension des ressorts d’un environnement de travail performant par bon nombre d’utilisateurs finaux.

Pour éviter cet écueil, nous préconisons l’appropriation préalable du futur environnement de travail par les collaborateurs, à travers des actions de communication, d’implication, de participation, voire de co-conception desdits espaces. Il est essentiel de mettre en place les conditions d’un dialogue transparent et ouvert, et de permettre de challenger les idées, tester les aménagements, de voir et toucher, de se former. Cela nécessite une stratégie prédéfinie – mais qui doit savoir s’adapter en permanence – et qui idéalement s’inscrira dans la durée (entre 18 et 36 mois). Surtout, ce dispositif doit être personnalisé, car la culture d’entreprise est le levier de changement le plus efficace.

Décideurs. Quels sont les facteurs de changement ?
Benoît Lemmel. Il y a tout d’abord des facteurs de changement internes. Le transfert d’une entreprise est l’opportunité de transformations qui peuvent être de nature très différentes : stratégique, managériale, organisationnelle, localisation, architecturale, technique, environnementale, aménagement, ergonomique, technologique. Puis il y a les facteurs de changements externes dus à différents types d’évolution : sociétal, environnemental, économique, social, réglementaire, immobilier.

Décideurs. La stratégie de changement dépend-elle de ces facteurs ?
J. C.?L. Non, ce doit être une pure décision managériale, répondant aux enjeux du projet, tout en tenant compte de la relation «?philosophique?» à l’espace qui existe dans l’entreprise. Le niveau des contraintes «?fonctionnelles?» et «?techniques?» détermine également le dispositif approprié. Deux grandes stratégies sont possibles, dès lors qu’on considère que :
• Les professionnels internes et externes ont toute la connaissance et la légitimité pour concevoir l’ensemble de l’environnement de travail (organisation, espaces, équipements), les utilisateurs n’ayant pas la connaissance des enjeux stratégiques (économique, managérial ou organisationnel). On privilégiera ici une démarche de communication, tout de même approfondie puisqu’au-delà de l’information, il s’agit de rechercher adhésion et appropriation
• Les usagers sont considérés comme ayant la meilleure connaissance des métiers, activités, modes de travail et pratiques managériales et ils sont à même d’imaginer leur futur environnement de travail, d’interagir avec les futurs espaces, les visualiser, les expérimenter. On pourra alors co-concevoir avec eux leurs espaces, en partant de la «?feuille blanche?».
Ces deux démarches sont miscibles, et des dispositifs intermédiaires possibles, mais une fois la stratégie définie, nous préconisons quatre niveaux complémentaires de dispositif :
• Concertation, pour prendre en compte les besoins métiers et organisationnels selon un processus interactif
• Managérial, pour s’imprégner de la culture managériale et la faire évoluer ;
• Appropriation, pour permettre aux utilisateurs de comprendre et d’intégrer les solutions
• Évaluation, pour s’offrir des temps de recul sur le projet, s’assurer de la cohérence des orientations avec les objectifs

Décideurs. À quoi aboutissent aujourd’hui ces réflexions ? Est-il aujourd’hui question, par exemple, de «?flex office?»…
B.?L. Les grandes entreprises commencent à imaginer de nouvelles façons de travailler, car l’organisation de l’espace y suit en général de très près les tendances sociétales. L’innovation, par exemple, naît désormais à l’extérieur de l’entreprise et le monde du travail doit s’adapter à cette nouvelle donne. Les nouvelles technologies impactent également le rapport vie privée/vie professionnelle, la frontière étant plus floue et le nomadisme plus fort. La règle qui définissait le bureau vole en éclats : lieu unique, espace-temps commun, action délimitée. L’entreprise devient de plus en plus un lieu de rencontres et d’apprentissage permanent, et il faut créer les nouvelles conditions du travail. Nous proposons donc aujourd’hui de nouveaux concepts, répondant à ces constats : réduction des budgets immobiliers, espaces de travail vieillissants et inadaptés, taux d’occupation des bureaux globalement faible, demande des salariés de plus d’espaces collaboratifs tout en réduisant les nuisances notamment liées à l’open space… Il faut requestionner la notion d’espace de travail pour mieux répondre aux objectifs stratégiques de l’entreprise, tout en favorisant la mise en place d’un environnement de travail plus conforme à l’épanouissement professionnel et personnel des collaborateurs. On y arrive dès lors qu’on parvient à :
• Créer un environnement au sein duquel les espaces sont en meilleure adéquation avec les activités : convivialité, concentration, confidentialité, créativité, travail collectif avec des personnes présentes ou à distance
• Servir les objectifs de l’entreprise en optimisant l’utilisation des espaces de travail et en instaurant la notion de bureau partagé
• Exploiter au maximum les technologies modernes permettant aux salariés de collaborer plus facilement et d’être en mesure de travailler quand ils le souhaitent et où ils le souhaitent
• Favoriser les échanges entre les collaborateurs de l’entreprise et les différents métiers tout en conservant la cohérence des emplacements et des spécificités de chaque métier via l’implémentation d’une stratégie de zoning clairement établie
• Transformer les façons de travailler, pour le salarié comme pour le manager, qui doit adapter son mode de management aux nouvelles réalités englobées par l’ensemble des points mentionnés ci-dessus.

On comprend bien que l’implication des directions des ressources humaines dans les problématiques d’aménagement et de déménagement ne peut que se renforcer encore !