Par Philippe Rozec, avocat associé, et Isabelle Dauzet, avocat. Praxes Avocats
L’une des mesures phares de la Loi du 14?juin 2013 confiait à l’Administration (Direccte) l’homologation (en cas d’acte unilatéral) ou la validation (en cas d’accord collectif majoritaire) des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) et/ou plans de départs volontaires (PDV). L’objectif affiché était toutefois de privilégier la négociation collective : quelques mois après l’entrée en vigueur du texte, quel premier bilan peut-on en tirer ?

La tension avait été palpable au moment de l’adoption du texte. Les syndicats étaient partagés. Le rôle désormais assigné à l’Administration, au détriment du Juge judiciaire, ne faisait pas l’unanimité. La négociation d’entreprise sur l’accompagnement des difficultés économiques (accords de GPEC, de maintien dans l’emploi ou accords de PSE), qualifiée par certains de négociation «?de gestion?», était accusée de sortir la négociation collective de sa fonction classique accordant et garantissant des droits aux salariés en contrepartie du caractéristique lien de subordination.

Les premières marques de succès : taux de réussite et taux d’engagement des négociations
Quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi, un premier retour d’expérience peut être dressé, en se gardant de conclusions hâtives. Le 16?janvier 2014, des premiers éléments d’analyse statistique ont été présentés à l’Assemblée nationale lors une séance de contrôle de l’Exécutif sur la mise en œuvre de la Loi de sécurisation de l’emploi (1). Force est de constater qu’un mouvement de négociation des accords dits de PSE s’est vite engagé : il faut s’en réjouir. Sur les 106 décisions administratives intervenues au 31?décembre 2013, 57 sont des décisions de validation suite à la conclusion d’un accord collectif majoritaire (soit près de 55?%). Le taux d’engagement des négociations est éclairant : près de 75?% des PSE donneraient lieu à l’ouverture d’une négociation. L’incitation au dialogue est déjà couronnée d’un certain succès.
Comment expliquer ce succès ? Il résulte, selon nous, des deux principales qualités dont le dispositif a été judicieusement doté dès sa création et auxquelles sont très sensibles ceux qui travaillent en «?mode projet?» : la maîtrise du temps et la fiabilité (en l’occurrence la sécurité juridique).

Les raisons d’un succès (1) : maîtrise du temps
La procédure d’information et consultation et, parallèlement, de négociation du plan de sauvegarde de l’emploi, est désormais encadrée dans un délai de 2, 3 ou 4 mois selon le nombre de suppression de postes. Passé ce délai, le Comité d’entreprise est réputé avoir donné son avis et la mise en œuvre du projet peut être engagée. Ce point de la réforme est crucial. Il permet d’annoncer avec fiabilité le terme du processus. Mais il explique aussi assez largement le taux de réussite des négociations car la délimitation de la durée d’une négociation est un des éléments clés de sa méthode et concourt très activement à son efficacité.

Les raisons d’un succès (2) : sécurité juridique
Un second facteur de ce succès découle de l’objectif de sécurité juridique qui guide aussi le dispositif. Pendant le cours de la procédure de négociation, l’Administration intervient activement pour anticiper, avec les parties, un éventuel refus de validation ou d’homologation. L’entreprise doit en effet se voir annoncer, le plus en amont possible, une difficulté éventuelle afin de pouvoir y remédier avant la décision administrative. Le processus de validation s’avère nécessairement moins aléatoire que celui de l’homologation, compte tenu du contrôle restreint de l’Administration. Pour autant, les parties doivent demeurer très attentives à la qualité de leur accord (procédure d’élaboration et contenu), faute de quoi ils pourraient s’exposer à un recours en justice dont l’issue pourrait être défavorable. Il est à noter sur ce point que le taux de judiciarisation serait en baisse, ce qui concrétise l’objectif de sécurité juridique : 30?% des PSE donnaient lieu à un recours en justice avant la loi de 2013, contre 5?% sur les 416 premiers dossiers enregistrés depuis son entrée en vigueur et jusqu’au 31?décembre 2013 (ce taux serait en légère hausse au 31?mars 2014, passant à 7?%).

Les premières décisions des juges
Les premières décisions des juges administratifs fournissent des précisions sur l’intérêt à agir, lequel a été reconnu :
- au comité d’entreprise (2),
- aux seules organisations syndicales auxquelles la décision doit être notifiée (3) ;
- aux salariés (4).
Par ailleurs, il apparaît que les irrégularités de procédure n’entraînent l’annulation de la décision de validation ou d’homologation que si elles ont privé l’instance de représentation de la possibilité de débattre, faire des propositions et suggestions et de rendre un avis éclairé sur le projet (5). Le défaut d’assistance du comité d’entreprise par un expert-comptable a été considéré comme caractérisant une telle irrégularité.
En revanche, n’ont pas entraîné l’annulation :
- l’irrégularité de la composition de la délégation patronale ;
- le défaut de transmission de la liste des postes de reclassement lors de la première réunion du comité d’entreprise, dès lors que les instances ne sont pas de ce fait privées de la possibilité de débattre ;
- l’absence de transmission au CHSCT d’une version actualisée du projet de PSE au fur et à mesure des discussions, pour autant que cette instance ait eu connaissance du projet initial et disposé, au long de la procédure, d’informations précises et suffisantes pour lui permettre de donner un avis éclairé.

Dans l’attente de la doctrine administrative
Un premier constat ainsi fait, nous pouvons tenter de nous projeter, prudemment, dans l’avenir. Cet avenir est largement conditionné par la capacité de l’Administration à construire une doctrine équilibrée, acceptable pour chacun des protagonistes à la négociation. Cette étape s’avérera cruciale. L’Administration devra donner des directives claires sur certains points qui aujourd’hui encore demeurent incertains, que ce soit en termes de procédure (rôle à assigner au CHSCT et à l’évaluation des risques psychosociaux découlant des réorganisations, mise en œuvre du reclassement à l’intérieur du groupe avec communication des emplois disponibles par des outils technologiques fiables, relations experts CE/CHSCT avec l’entreprise, etc.) ou de contenu du PSE (durée préconisée du congé de reclassement, intervention et rôle des cellules de reclassement externe, chiffrage des mesures d’accompagnement, revitalisation du bassin d’emploi, etc.). L’adhésion des acteurs des réorganisations à cette doctrine doit donner lieu, elle aussi, à un dialogue gage d’efficacité à terme.

1 AN, Séance du mercredi 29 janv. 2014, JO du
30 janv. 2014.
2 TA Montreuil, 5e ch. 20 décembre 2013, n°1309825-1310103-1311272
3 TA Nîmes, 2e ch. 27 novembre 2013, n°1302334.
4 TA Chalons en Champagne, 2e ch. 11 Fév. 2014, n°1302032.
5 TA Montreuil, 5e ch. 20 décembre 2013, préc. ;
TA Montreuil, 5e ch. 7 fév. 2014, n°1311393.