Dans un ouvrage coup de poing, l’ancien élu socialiste dénonce la duplicité du macronisme, la faillite morale de la gauche et la montée en puissance du RN. Celui qui se définit comme "orphelin" esquisse des solutions pour faire face.

Décideurs. Le socle idéologique du macronisme est la lutte contre l’extrême droite. Pourtant, le RN est en pleine ascension. Pourquoi ?

Amine El Khatmi. Si le principal objectif d’Emmanuel Macron est de combattre le RN, les résultats ne sont pas remarquables, c’est le moins qu’on puisse dire. Lorsque Marine Le Pen accède à l’Assemblée nationale en 2017, elle est entourée de quatre députés. Désormais, ils sont 87 autour d’elle, ce qui en fait le premier groupe d’opposition au Palais-Bourbon. Emmanuel Macron y est pour quelque chose. L’absence de résultats palpables sur l’immigration et l’insécurité, sujets sur lesquels le RN prospère, est une évidence.

Prenons un fait concret : en 2017, le taux d’exécution des OQTF était de 14 % et le nouvel exécutif promettait de l’augmenter à 100 %, il est désormais de 7 %. Les chiffres de la délinquance et de l’insécurité explosent, tous les territoires sont touchés. Pourtant, le gouvernement popularise les notions "d’ensauvagement" ou de "décivilisation" qui relèvent du champ lexical de l’extrême droite. À ce stade, on peut presque se demander si le gouvernement ne cherche pas à faire élire Marine Le Pen ou Jordan Bardella…

Une victoire du RN en 2027 est donc un scénario plausible ?

Si rien ne change, ce parti pourrait gagner les yeux fermés et sans faire campagne. Prenons la loi immigration : 75 % des Français sont sur la même longueur d’onde et demandent plus de fermeté. Il y a un consensus pour accueillir dans de bonnes conditions, savoir qui l’on accueille, expulser ceux qui ne respectent pas les règles. Pourtant, le Conseil constitutionnel fait obstacle. Pendant ce temps, les journaux fourmillent de cas comme celui d’une étudiante violée par une personne ayant reçu une OQTF, une agricultrice et sa fille tuées par des personnes sous OQTF également. Face à ce sentiment d’impuissance, le RN est un appel au secours pour beaucoup puisque ni la gauche, ni le centre, ni la droite n’ont apporté de solution sur une problématique qui devrait être non partisane.

Le recours pourrait venir de votre famille d’origine, la gauche. Pourtant, dans votre ouvrage vous ne mâchez pas vos mots. Elle aussi est responsable de la montée du RN. Que lui reprochez-vous ?

Récemment, d’avoir abandonné les Français de confession juive et d’être main dans la main avec ceux qui les menacent. Je l’accuse aussi d’avoir renoncé à défendre une laïcité qu’elle avait elle-même forgée. Rendez-vous compte, en 2015, Jean-Luc Mélenchon prononçait l’éloge funèbre de Charb. Les proches du journaliste n’auraient pas invité n’importe qui pour ce discours. En 2019, le même Mélenchon défilait avec des imams fichés S et des islamistes qui expliquent que Charlie Hebdo est d’extrême droite. Si ce n’est pas une trahison…

En 2015, Jean-Luc Mélenchon prononçait l'éloge funèbre de Charb, en 2019 il défile avec des islamistes fichés S. Si ce n'est pas une trahison..."

Qui est responsable ?

L’électoralisme crasse de ceux qui ont convaincu un homme qui a passé toute sa vie à défendre l’humanisme, l’universalisme et la laïcité. Pour ces gens-là, il fallait racoler dans les quartiers populaires qu’ils ne connaissent pas vraiment afin de glaner les 600 000 voix qui avaient manqué à LFI pour accéder au second tour en 2017.

Ce que vous appelez "trahison" ou "racolage" a fonctionné. Jean-Luc Mélenchon a obtenu plus de voix en 2022 qu’en 2017, dont 70 % des suffrages des électeurs de confession musulmane…

AmineLivre

Peut-être. Mais il n’est toujours pas au second tour, la gauche disparaît de pans entiers du territoire. Elle dispose de la fonction tribunitienne, mais son socle se réduit. Si le but d’une élection est de rassembler plus de la moitié du corps électoral, c’est mal parti.

Pour parler cru, vous pouvez exploser les scores dans les banlieues, être premier chez une partie de la jeunesse, notamment urbaine, ça ne fait pas une victoire. Surtout, cela ne permet pas d’améliorer la vie des gens. Si l’objectif est d’écrire des tribunes, s’indigner, protester dans une bulle et attendre une révolution, c’est un projet qui peut se respecter. Mais ce n’est pas le mien.

Le PS, dans lequel vous avez milité des années, s’est allié à LFI. Quand vous parlez de la situation à certains anciens camarades, que vous répondent-ils ?

Qu’il faut sauver des sièges. On me dit très clairement "Amine, tu as raison sur Mélenchon, nous sommes gênés, il va trop loin, il nous hait. Mais tu comprends, sans accord notre groupe aurait disparu de l’Assemblée nationale." Olivier Faure me l’avait expliqué: il faut garder une trentaine de députés socialistes en attendant des jours meilleurs. Ce que je peux vous dire, c’est que le constat formulé dans le livre est partagé en off par les uns et les autres dans les dîners et les cercles privés. À gauche, il y a souvent un décalage entre les propos tenus devant les caméras et le ton alarmiste en privé.

"Ce sont des cadres macronistes comme Richard Ferrand et Stanislas Guerini qui sont venus nous chercher avant la présidentielle"

Pour imposer votre vision, vous vous êtes engagé au Printemps républicain dont vous avez été président. Le mouvement ne s’est jamais associé au PS. Pourquoi ?

C’était la volonté de Laurent Bouvet, intellectuel à l’origine du Printemps républicain, pourtant issu du PS. L’ambition n’était pas d’être un courant qui serait allé négocier des places. L’idée initiale était que tous les déçus qui n’en pouvaient plus des magouilles, des urnes bourrées, des tricheries, se rassemblent pour faire valoir des idées avant des prébendes.

Pourtant en 2022, le Printemps républicain a essayé d’avoir des places éligibles sous la bannière Renaissance aux législatives. Pourquoi ce changement stratégique ?

Ce sont des cadres macronistes comme Richard Ferrand ou Stanislas Guerini qui sont venus nous chercher avant la présidentielle. Ils nous ont dit : "Compte tenu de la loi séparatisme, du discours des Mureaux, de la dissolution du CCIF et de l’Observatoire de la laïcité, de l’action de Jean-Michel Blanquer, le Président a évolué vers vos positions. Vous avez votre place dans la majorité." Nous l’avons donc soutenu.

Une erreur selon vous…

Oui. Il s’avère que le Président est dans un zigzag permanent pour tenter de plaire à tout le monde. Dès sa réélection, il a remplacé Jean-Michel Blanquer par son antithèse Pap Ndiaye, ce qui montre un manque de colonne vertébrale sur les sujets qui nous sont chers.

Vous dévoilez que Renaissance avait promis une quinzaine de circonscriptions gagnables au Printemps républicain. Vous n’avez rien eu. Que s’est-il passé ?

Ils ont eu besoin de nous pendant la campagne pour cocher la case "soutien des républicains de gauche". Une fois le Président réélu, il n’y avait plus besoin de nous. Nous avons été utilisés et manipulés.

"J'observe un gouffre entre la gauche mondaine parisienne et le reste du pays"

Vos idées ne sont plus représentées chez Mélenchon ou au PS, elles ont été humiliées par le macronisme, vous n’êtes pas de droite. Vous êtes orphelin ?

C’est le mot qui revient le plus. Nous n’avons plus de maison où nous abriter le temps que cette longue nuit passe. Nous sommes nombreux dans ce cas.

Vous parlez d’un dialogue entre générations, d’une transmission. Les jeunes de gauche semblent adeptes des théories communautaristes et intersectionnelles, votre ligne disparaît des universités où se forme la relève. N’avez-vous pas le sentiment d’être seul ?

Pas du tout. J’observe un gouffre entre la gauche universitaire, mondaine parisienne et le reste du pays. Je vous donne un exemple : lorsque je rentre dans les quartiers populaires d’Avignon où je suis né, où j’ai grandi, où j’ai été élu, on ne me parle jamais du comité Adama. Pourtant le petit milieu de la gauche médiatique et universitaire parisienne a fait de sa présidente Assa Traoré une égérie. Les citoyens voient les services publics déserter leurs communes, les trains et les commerces disparaître, doivent faire vingt kilomètres pour accoucher, votent de plus en plus RN. Or, leurs problèmes sont liés à des problématiques sociales que la gauche mondaine et parisienne qui truffe les universités, les états-majors de LFI ou d’EELV ignore.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz