Les experts de Lauxera Capital Partners dévoilent les stratégies à suivre et les écueils à éviter, pour mettre toutes les chances de son côté et réussir son lancement sur le marché américain de la santé.

Les États-Unis représentent le marché idéal pour changer d’échelle. Certes, le niveau de risque est élevé car les facteurs clés de succès diffèrent de ceux de l’Europe. Mais en matière de santé, ce marché est de loin le plus grand au monde (48 %), avec une croissance estimée de 4 % à 5 % d’ici à 2026, selon les prévisions d’IQVIA. Les dépenses de santé y représentent 17 % du PIB contre 12 % pour la France. S’agissant du remboursement, le paysage est fragmenté avec de nombreux payeurs et intermédiaires. La volonté de payer sera toutefois élevée, à partir du moment où la technologie sera une innovation de rupture qui correspondra à des besoins non satisfaits.

Un marché incontournable

Accéder au marché américain s’avère primordial, surtout pour un acteur de la santé. "Il est impossible de devenir un leader mondial sans avoir un pied aux États-Unis. C’est un marché unique comparé à l’Europe qui est très fragmentée", met en avant Pierre Moustial. Sur de nombreux segments, les États-Unis représentent le marché le plus important en matière de taille et de prix. "De nombreux acteurs du secteur y sont présents tandis que 70 % des acquéreurs d’entreprises françaises viennent de ce pays", précise Samuel Levy.

Les États-Unis sont également très avancés dans la façon de penser à l’utilisation des données, ce qui crée un espace attrayant pour les entreprises de la healthtech. Mais surtout, ils offrent un vaste écosystème d’innovation. Pour Alex Slack, "la plupart des innovations dans la santé proviennent d’outre-Atlantique, avec quatre marchés finaux clés dépensant de plus en plus en capital : recherche & innovation, innovations en pharma & medtech, issues des prestataires et enfin, insufflées par les patients".

Le marché américain n’est pas le marché français en plus grand

Autre attrait du marché américain : sa rentabilité. Comme le souligne Charles Ruban, les prix sont beaucoup plus élevés qu’en Europe. C’est donc un endroit où les entreprises européennes et françaises peuvent avoir un retour sur investissement très important. Toutefois, précise Pierre Moustial "l’une des spécificités du marché américain est l’incitation financière. Les Américains raisonnent autant en termes de rentabilité que de besoins médicaux. La première chose qu’ils vont regarder sera le prix et le niveau de remboursement. Par ailleurs, le coût élevé des investissements à réaliser ne doit pas etre sous-estimé, ce qui le rend plus risqué que le marché européen".

Préparer, tester et trancher

Rien ne doit être laissé au hasard pour se lancer sur le marché américain. Samuel Levy et Alex Slack identifient les clés pour y parvenir : au moins dix-huit mois de préparation, avoir une vision claire du chiffre d’affaires escompté, définir précisément la clientèle visée, évaluer précisément le retour sur investissement des dépenses engagées et mettre en place une organisation, avec à sa tête un leader, pour atteindre cet objectif. Sans compter l’énergie dépensée.

Autres facteurs de succès identifiés par Charles Ruban : s’entourer d’un conseil scientifique américain de premier ordre, principalement composé d’universitaires, pour obtenir des commentaires objectifs sur ses produits et bénéficier d’excellents ambassadeurs pour sa technologie aux États-Unis. "Ensuite, en créant votre équipe commerciale pour construire votre stratégie à l’avance, vous devez prendre en considération les payeurs. Et last but not least, la création d’un groupe de travail dédié aux questions réglementaires en interne est crucial car naviguer au sein de la FDA peut être très difficile" ajoute-t-il. Le marché américain n’est pas exempt de risques. "Une entreprise peut être poursuivie en justice et pour s’en prémunir, devra se protéger et contracter des assurances. Autres risques : la sécurité des patients représentés par des associations très puissantes outre-Atlantique, et la dimension RH avec des employés américains aux salaires élevés (au moins trois fois plus qu’en Europe) et avec un turnover élevé, en l’absence de préavis obligatoire", souligne Charles Ruban. D’où l’importance de comprendre les modèles d’embauche américains, de gérer le choc culturel, les fuseaux horaires et d’envoyer un membre de l’équipe de direction sur place, selon Alex Slack.

Vous ne jouez pas pour jouer, vous jouez pour gagner

Stratégie d’acquisition, de création ex nihilo et de partenariat

Un acteur de taille moyenne ne pourra pas gagner seul sur le marché américain. "Vous ne pouvez pas compter sur vos succès européens pour vous aider aux États-Unis", remarque Alex Slack. "Tout est beaucoup plus cher que sur le marché européen, vous devez donc y aller avec le bon modèle, sinon vous risquez de perdre beaucoup d’argent", estime de son côté Pierre Moustial.

Diverses stratégies sont possibles. Tout d’abord l’achat ou l’acquisition pour être opérationnel tout de suite mais à un coût élevé, à l’instar du français Urgo dont Pierre Moustial a été directeur général et qui s’est implanté outre-Atlantique. "Nous ne voulions toujours pas nous lancer ex nihilo en solo en raison du coût élevé de l’investissement." Cependant, le prix payé pour une acquisition pourra également être élevé, si la cible est de qualité.

Autre démarche suivie par l’entreprise Verdot Ips², dirigée par Charles Ruban : se lancer seule en construisant une base ex nihilo. Cette entreprise, qui n’en est qu’au début de son lancement aux États- Unis, se consacre actuellement à recruter les bons profils outre-Atlantique.

Enfin, bâtir un pont entre l’Europe et l’Amérique est également possible. Par exemple, Fournier, laboratoire de taille moyenne que Pierre Moustial a dirigé, a décidé de forger un partenariat avec un acteur américain sur le marché du cholestérol. Il a choisi cette stratégie avec le groupe américain Abbott, aujourd’hui scindé en deux entre AbbVie et Abbott. "Les Français développaient le produit et les Américains s’occupaient des stratégies de marketing et de communication. Ce fut une véritable success-story avec un doublement du chiffre d’affaires en quatre ans", précise-t-il. Mieux vaut toutefois garder la maîtrise de la distribution, en conservant sa propre équipe ou en ayant une force de vente hybride avec ses commerciaux intégrés dans la force de vente du distributeur.

Quelle que soit la stratégie, "le plus important est de déterminer comment l’innovation va être payée et de trouver un moyen d’être remboursé pour votre produit, insiste Samuel Levy. Vous devez savoir si vous obtiendrez le remboursement des payeurs publics (Medicaid & Medicare), des payeurs privés ou des deux".

Miser sur les meilleurs talents

L’une des clés de la réussite aux États-Unis réside dans l’investissement en temps pour recruter les talents et pour trouver un moyen de les retenir à long terme, en concevant le bon programme d’incitation. "Les chasseurs de têtes vous aideront à recruter les meilleures personnes, mais en restant prudent, vous pouvez aussi embaucher vous-même une équipe qui correspondra à la taille et à l’ambition de votre entreprise. Quitte à envoyer sur place un Français pour superviser le recrutement", souligne Charles Ruban. Et de prendre l’exemple de Verdot Ips² dont il est le PDG : "Nous investissons beaucoup de temps et d’énergie dans le recrutement des bons profils et dans la conception des bons forfaits incitatifs pour les employés.".

SUR LES AUTEURS

Pierre Moustial est associé fondateur de Lauxera Capital Partner, ancien CEO d’Urgo et ancien CEO de Fournier Pharma.

Samuel Levy est associé fondateur de Lauxera Capital Partners, médecin et entrepreneur. Il a cofondé Allurion Technologies et bâti une entreprise mondiale de dispositifs médicaux entièrement intégrée.

Alex Slack est américain, associé fondateur de Lauxera Capital Partners, basé aux États-Unis. C’est un investisseur spécialisé dans les soins de santé qui a notamment travaillé chez Jackson Square Partners.

Charles Ruban est PDG de Verdot Ips². Il a dirigé et contribué au développement international de grandes entreprises de santé, développé des alliances stratégiques et lancé des thérapies biologiques en Europe, aux États-Unis et au Japon.