Médecin, chercheur, mais aussi professeur et président-directeur général de l’Inserm depuis 2023, Didier Samuel, à l’occasion du Programme équipement prioritaire en recherche (PEPR) "santé numérique" lancé avec l’Inria, revient sur l’évolution de la recherche dans le domaine de la santé.

Vous avez pris la présidence de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) le 1er février 2023. Quelle est votre priorité ?

Didier Samuel. L’Inserm souhaite se positionner comme l’acteur incontournable de la recherche biomédicale en France, notamment dans le cadre de la stratégie nationale de santé définie par le gouvernement. Nous endossons non seulement un rôle d’opérateur de recherche, mais aussi celui d’agence pilote de programmes scientifiques. Dans le cadre du plan France 2030, l’Inserm élabore des missions pour des cohortes de patients [ndlr, une cohorte est l’étude d'une population d'individus volontaires, définie par rapport à un facteur qui pourrait influer sur une pathologie donnée, comme certains biomarqueurs qui peuvent suggérer la présence de maladies spécifiques]. Avec l’essor du numérique dans le domaine de la santé, nous sommes de plus en plus capables de mener à bien des chantiers tels que la gestion de biobanques, le partage des données entre structures ou encore la construction de centres d’investigation clinique.

"Nous endossons non seulement un rôle d’opérateur de recherche, mais aussi celui d’agence pilote de programmes scientifiques"

Nous coorganisons avec des CHU, des Espic (Établissements de santé privés d'intérêt collectif), des Centres de lutte contre le cancer (CLCC) et les universités des groupes de travail sur ces biobanques. Cette recherche physio-pathogénique soutiendra l’identification de biomarqueurs, dont de nouveaux gènes mais aussi des voies de signalisation impliquées dans des maladies particulières.

Quels bénéfices tirez-vous de votre intégration au projet PariSanté Campus, notamment à son projet d’extension dans l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grace ?

La recherche doit avoir des débouchés cliniques intéressants, par exemple des débouchés thérapeutiques ou qui permettent de comprendre des maladies. Pour cela, il faut rétablir une politique de site en mettant les partenaires autour de la table, les universités, les CHU et les autres organismes comme le CEA (Commissariat à l'énergie atomique), l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), afin de réactiver la recherche clinique hospitalière fondamentale et appliquée.

En plus de start-up prometteuses, PariSanté Campus réunit bon nombre d’acteurs de la santé, tels que l’ANRS ou la récente Agence de l’innovation en santé. Il nous importe de faire partie de cet écosystème et de contribuer à son émulation. Entre autres, nous y avons installé Inserm Transfert, notre filiale privée de valorisation, spécialisée dans le transfert de technologie en santé et dans la recherche de financements collaboratifs. C’est aussi l’occasion pour nous, d'ici 2028, de reconstituer un siège centralisé pour l’Inserm et de continuer à nous projeter dans la recherche et son évolution.

Vous co-pilotez six PEPR (Programme équipement prioritaire en recherche). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Certains PEPR s’inscrivent dans la stratégie nationale d’accélération "Santé numérique", d’autres dans un cadre exploratoire. Leur financement, compris entre 30 et 80 millions d’euros, est échelonné sur cinq à sept ans. Piloté avec l’Inria, le PEPR destiné à la santé numérique comprend 17 projets fléchés, dont certains étudieront des aspects généraux, comme le partage et l’anonymisation des données, alors que d'autres seront plus ciblés. Les domaines cardiovasculaires et neurologiques auront une bonne place dans ce programme. 

"Piloté avec l’Inria, le PEPR destiné à la santé numérique comprend 17 projets fléchés"

Ces programmes permettent d’acquérir et de traiter des données numériques pour des études multi-échelles. En résulteront des applications telles que le suivi ADN de différentes populations – par exemple pour estimer l’interaction entre l’environnement et le génome – ou les jumeaux numériques. Affiné, un mini-ensemble de données permettrait de travailler sur des modèles mathématiques ou physiques pour révolutionner l’échelle de l’expérimentation. Déjà, les soignants peuvent avoir recours à la simulation anatomique lors d’opérations chirurgicales, pour mieux localiser une tumeur ou encore visualiser un organe. À un niveau cellulaire, la simulation numérique pourrait venir à remplacer des expérimentations animales.

Décideurs Magazine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Didier Samuel et Bruno Sportisse, présidents respectivement de l’Inserm et de l’Inria, au lancement du PEPR Santé numérique à PariSanté Campus 

 L’IA s’intègre à tous les secteurs. Quid de son influence dans la recherche ?

Les outils numériques, encore plus que la recherche, vont évoluer. Passer au crible des dizaines de milliers de gènes afin d’extraire le gène d’intérêt nécessitera des moyens informatiques et mathématiques pointus. De même, retrouver des événements qui influent sur l’expression des gènes, par des biais épigénétiques, exigera de grandes puissances de calcul. À la faveur de ces nouveaux outils, de nouveaux métiers relatifs à l’IA doivent émerger : bio-généticiens, bio-informaticiens… Ces profils, de plus en plus interdisciplinaires, combineront connaissance de la santé et de la recherche fondamentale.

"De nouveaux métiers relatifs à l’IA doivent émerger : bio-généticiens, bio-informaticiens..."

Comment voyez-vous évoluer la recherche et la compréhension des maladies ?

On tend vers plus de prédiction dans les groupes de patients, l’évaluation des risques de complication, des mesures plus ciblées en amont. L’État comme les concitoyens appellent de leurs vœux cette approche globale, médicale et holistique, où sera intégrée aux données de santé une dimension sociale ou encore environnementale. Ce regard transversal changera le positionnement de la recherche sur l’après-maladie et la qualité de vie qui en découle.

Propos recueillis par Alexandra Bui