Les Certificats complémentaires de protection (CCP) prolongent la durée de protection par brevet des médicaments bénéficiant d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Les difficultés rencontrées par les instituts ou biotech, alors qu’ils sont souvent à l’origine de cibles thérapeutiques innovantes, pour bénéficier de CCP sur la base des AMM de leurs licenciés présentent un fort enjeu. Des décisions de justice récentes sont susceptibles de changer la situation.

Pour bénéficier d’un CCP, les textes (article 3 du règlement UE n° 469/2009 du 6 mai 2009) disposent que le produit ayant obtenu l’AMM doit être protégé par un brevet. Ils ne posent pas de conditions relatives au titulaire du brevet ou au bénéficiaire de l’AMM.

Sur cette base, les décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ont déjà admis qu’un titulaire de brevet peut bénéficier d’un CCP relatif à une AMM délivré à un tiers. Les instituts de recherche ou une biotech peuvent donc obtenir un CCP sur la base d’une AMM liée à un médicament développé par leur licencié.

Ils peuvent ainsi prolonger la durée de leurs brevets et être rémunérés par leur licencié pendant une période à la fois plus longue et couvrant des années d’exploitation commerciale du médicament, c’est-à-dire, des années au potentiel financier plus élevé.

Notion de produit protégé par le brevet

D’autres décisions de la CJUE viennent cependant limiter cette possibilité en adoptant une approche particulière du "produit protégé par le brevet". En effet, selon une approche classique, un produit est protégé par un brevet à partir du moment où il correspond à l’objet de ses revendications. L’approche de la CJUE dans le cas des CCP est cependant plus restrictive. Elles considèrent que, pour bénéficier d’un CCP, un produit est protégé par un brevet s’il est en outre spécifiquement identifiable dans le brevet de base et ne résulte pas d’un développement ultérieur relevant d’une activité inventive autonome (voir notamment décision Royalty Pharma C-650/17).

"La Cour d’appel de Paris a rendu en 2022 une décision qui peut sembler plus favorable aux titulaires de brevets de rupture"

En France, de nombreuses demandes de CCP sont rejetées sur ce motif. En effet, à la date de dépôt du brevet, en cas d’innovation de rupture, si l’institut de recherche ou la biotech a eu l’occasion de mettre en évidence l’effet thérapeutique prometteur d’une famille de molécules sur la base de premiers essais, ils n’ont pas toujours la possibilité ni les moyens d’étendre ses recherches à chacun des composés de la famille. Dans ce cas, le brevet associé comprend des revendications portant sur la famille des molécules en cause, souvent définie de façon fonctionnelle, sans que le brevet détaille chacune des molécules rentrant dans le champ de cette définition.

À quel titre bénéficier d’un CCP ?

Si le médicament faisant l’objet de l’AMM intègre l’une de ces molécules, il ne fait pas de doute qu’il tombe sous la portée du brevet. Le laboratoire qui souhaite exploiter ce médicament a donc besoin d’une licence. Cependant, pour savoir si son titulaire (l’institut ou la biotech) peut bénéficier d’un CCP prolongeant son brevet, c’est une autre question qui se pose. Il s’agit en effet de savoir, en simplifiant l’approche prescrite par la CJUE, si le brevet donne suffisamment d’informations permettant d’obtenir la molécule utilisée par le laboratoire pour développer le médicament faisant l’objet de l’AMM. Dans le cas de brevets portant sur une innovation de rupture, on comprend la difficulté car la molécule faisant l’objet de l’AMM peut ne pas être mentionnée explicitement mais uniquement couverte par sa définition fonctionnelle. Et seules des informations générales la concernant auront pu être données.

Saisie du bien-fondé d’une décision de refus d’une demande de CCP, la Cour d’appel de Paris a rendu en 2022 une décision qui peut sembler plus favorable aux titulaires de brevets de rupture. Elle implique l’institut Dana Farber, un institut de recherche américain particulièremen réputé dans la lutte contre le cancer. Dans ce dossier, Dana Farber était titulaire d’un brevet couvrant l’avélumab, un anticorps monoclonal, pour lequel une filiale du groupe pharmaceutique Merck, licencié de Dana Farber, avait obtenu une AMM et un CCP sur la spécialité pharmaceutique "Bavencio" ayant pour principe actif cet anticorps.

Le mérite de Dana Farber avait été de mettre en évidence l’efficacité d’une famille d’anticorps (dont l’avumélab fait partie) sur la modulation de la réponse immunitaire d’un sujet, une telle modulation permettant de lutter contre certains cancers. Son brevet revendiquait l’ensemble de la famille en cause.

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L’INPI (Institut national de la propriété industrielle) avait rejeté la demande de CCP de Dana Farber, basée sur l’AMM de Merck. Dans le cas d’espèce, l’INPI avait considéré que les informations divulguées dans le brevet de base de Dana Farber étaient insuffisantes pour identifier spécifiquement l’avélumab, et que cet anticorps avait été développé par la suite par Merck au terme d’une activité inventive autonome ; il en avait conclu que la demande de CCP portait sur un principe actif qui n’était pas protégé par le brevet de base invoqué, selon la jurisprudence de la CJUE. Par arrêt du 25 mai 2022, la cour d’appel de Paris a annulé cette décision. Cet arrêt reste certes très lié au cas d’espèce (anticorps monoclonaux). Elle prend aussi le soin de faire un lien détaillé entre l’approche adoptée et la jurisprudence de la CJUE mais, en venant renverser une décision de rejet de l’INPI, il ouvre des voies prometteuses pour l’obtention de CCP liés aux brevets portant sur des innovations de rupture en matière de médicament. Cette décision fait pour l’instant l’objet d’un pourvoi.

Méthode et éléments à prendre en compte

Au moment où nous écrivons ces lignes, une décision de la Cour de cassation vient justement d’intervenir (Ono, 1er février 2023). Elle casse une décision de la Cour d’appel de Paris qui, dans une décision antérieure à la décision Dana Farber évoquée plus haut, avait confirmé une décision de rejet de demande de CCP.

Plus précisément, la cour a précisé la méthode et les éléments à prendre en compte, afin de déterminer si un produit est protégé par un brevet de base lorsque ce produit est seulement revendiqué fonctionnellement par le brevet, en suivant la jurisprudence communautaire. Il reste maintenant à voir comment l’INPI fera évoluer sa pratique dans l’examen des demandes de CCP dans ce cas de figure.

Les signaux sont en tout cas plus positifs pour tous ceux qui estiment légitime que le titulaire d’un brevet de rupture puisse aussi obtenir un CCP afin de mieux valoriser ses efforts de recherche, indépendamment de l’obtention ou non d’un brevet par le laboratoire bénéficiaire d’une AMM découlant de ce brevet.

Sur ce sujet, il est également intéressant de noter que la Commission européenne a lancé une réflexion sur une révision du règlement de 2009. Alors que les CCP sont aujourd’hui délivrés par un examen des offices nationaux, la réflexion de l’UE vise principalement à harmoniser les procédures et conditions de délivrance des CCP en Europe.

Elle pourrait être l’occasion d’une clarification de l’interprétation à donner des décisions de la CJUE dans le sens d’une approche plus favorable à la délivrance de CCP dans le cas de brevets portant sur des innovations de rupture. Le top ten des déposants de CCP apparaissant en encart montre combien les instituts de recherche ou biotech en sont absents. À suivre donc !

SUR LES AUTEURS

Claire Bernstein est Conseil en propriété industrielle, mandataire européen et titulaire du diplôme universitaire sur le Contentieux des brevets en Europe. Elle est en charge de dossiers de brevets et de litiges concernant en particulier les domaines de la biologie, de la biotechnologie, de la cosmétologie, de la pharmacie et de l’agroalimentaire. Elle est associée au sein du cabinet Gevers & Ores. Elle intervient dans le dossier Dana Farber Cancer Institute mentionné dans l’article. 

Jean-Christophe Rolland est Conseil en propriété industrielle et mandataire européen. Il a eu l’occasion de suivre les questions de CCP, notamment sur le plan communautaire. Il est associé au sein du cabinet Gevers & Ores.