L’arrêt du 9 juillet 20091 confirme un point essentiel sur la notion de défaut : l’information de la notice destinée aux patients est seule pertinente pour apprécier la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Il confirme aussi que le lien de causalité est souverainement apprécié par les juges du fond qui ne sont pas tenus par une analyse fondée uniquement sur les données scientifiques.

L’arrêt du 9 juillet 20091 confirme un point essentiel sur la notion de défaut : l’information de la notice destinée aux patients est seule pertinente pour apprécier la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Il confirme aussi que le lien de causalité est souverainement apprécié par les juges du fond qui ne sont pas tenus par une analyse fondée uniquement sur les données scientifiques.

En dehors de la portée des solutions dégagées par l’arrêt, le lecteur est interpellé par le visa textuel choisi par la Cour de cassation. L’arrêt est en effet rendu sur le fondement de l’article 1386-4 du Code civil issu de la loi du 19 mai 1998 (ci-après la Loi de 1998) transposant la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (ci-après la Directive).
Or, en l’espèce le vaccin a été injecté en 1997, soit une mise en circulation du produit concerné antérieure à la Loi de 1998, laquelle ne s’applique qu’aux produits mis en circulation postérieurement à son entrée en vigueur. Il fallait donc procéder à une interprétation des articles 1382 et 1147 du Code civil à la lumière de la Directive qui avait seule vocation à s’appliquer en l’espèce, à l’instar de ce qu’avait fait la cour d’appel. L’erreur de droit laisse perplexe.
Rappelons, en effet, qu’il existe une différence majeure entre les deux régimes : l’exonération pour risque de développement. En effet, disposition optionnelle de la Directive, elle ne fait pas partie, en principe, des dispositions à la lumière desquelles notre droit doit être interprété. Certes, en l’espèce, l’erreur est restée sans conséquence mais elle méritait toutefois d’être pointée avant de tirer quelques enseignements de cet arrêt.

L’information donnée dans la notice est seule pertinente

La notion de défaut est centrale dans l’appréciation de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Avant la transposition de la Directive, la Cour de cassation avait créé une obligation de sécurité-résultat d’après laquelle la simple constatation d’effets secondaires pouvait permettre d’en induire l’existence d’un défaut.
Sous l’impulsion d’un arrêt important de la CJCE2 qui avait affirmé le caractère exclusif de la Directive et l’impossibilité pour les États membres de maintenir un régime de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par le texte communautaire, la Cour de cassation a été contrainte de faire évoluer sa jurisprudence.
Avec l’affaire du Zyloric3, la Cour de cassation a clairement posé en principe qu’un produit ne peut être considéré comme défectueux du simple fait qu’il est susceptible d’avoir des effets secondaires.
Par la suite, la Cour de cassation a précisé que le défaut devait s’apprécier en fonction de « toutes les circonstances » et a repris les critères non exhaustifs énoncés à l’article 6 de la Directive.
Ces critères ne sont ni alternatifs, ni cumulatifs. C’est à la technique du faisceau d’indices que les juges du fond doivent faire appel pour déterminer si un défaut peut être ou non caractérisé.
En toutes hypothèses, les arrêts rendus ces trois dernières années démontrent que le critère d’appréciation fondé sur la présentation du produit, et plus précisément l’information sur les risques éventuels, est primordiale.
L’arrêt sur l’Isoméride4 avait pu laisser penser que la Cour de cassation examinerait tant l’information destinée aux patients donnée au travers la notice du produit, que celle délivrée aux médecins au travers du résumé des caractéristiques du produit.
Cependant, plusieurs arrêts ultérieurs ont pu faire douter de ce principe. Ainsi, l’un des arrêts du 22 mai 2008 sur le vaccin contre l’hépatite B invitait à examiner la notice du produit alors que l’extrait Vidal mentionnait clairement le risque en cause, comme l’avait constaté la cour d’appel dans son arrêt critiqué. Or, en renvoyant l’affaire sur ce motif, la Cour de cassation faisait, semble-t-il, clairement apparaître le caractère prédominant de l’information donnée dans la notice aux patients sur celle figurant dans le résumé des caractéristiques du produit. Un arrêt antérieur retenait d’ailleurs déjà cette idée5.

L’arrêt du 9 juillet dernier confirme cette prise de position.
En effet, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir caractérisé une atteinte à la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre dès lors que la notice destinée aux patients à l’époque de la mise en circulation6 du médicament ne mentionnait pas le risque de sclérose en plaques.
Au vu de l’accumulation de décisions allant en ce sens, il faut certainement considérer que désormais, le critère d’appréciation du défaut du produit fondé sur la présentation du produit repose essentiellement sur l’information figurant dans la notice destinée aux patients.
Il y a certes une logique dans cette solution dans la mesure où la notion de sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre doit être appréciée du point de vue du public en général. Néanmoins, appliquée sans aucun tempérament aux médicaments, cette logique méprise à tort, à notre sens, la spécificité du produit en cause et le rôle essentiel que joue le médecin prescripteur dans la délivrance aux patients de l’information sur les risques encourus et le bénéfice attendu du médicament.

Une information sur tous les risques, même hypothétiques

Pour échapper à la qualification de défaut, l’information doit porter sur tous les risques, y compris sur ceux qui ne sont encore qu’à l’état d’hypothèse sur le plan scientifique. En effet, si le laboratoire n’informe pas les patients d’un tel risque, le produit sera défectueux si le risque envisagé de manière hypothétique à l’époque de la mise en circulation, est finalement reconnu.
Ayant fait cette information, le fabricant risque alors de ne plus pouvoir bénéficier de l’exonération pour risque de développement puisque cette défense suppose que le risque soit ignoré. Toutefois, le risque de développement s’appréciant par rapport à l’état des connaissances scientifiques les plus avancées7, le fait que l’hypothèse du risque ait d’ores et déjà été évoquée pourrait suffire aux juges du fond pour refuser, dans un tel cas, de reconnaître un risque de développement.
L’information sur un risque hypothétique n’est cependant pas aisée. Elle doit être suffisamment précise pour que le patient appréhende correctement le niveau de risque auquel il est soumis. Une information trop imprécise pourrait conduire à considérer qu’il n’y a pas d’information adéquate et qu’en conséquence, le produit est défectueux. 

Le lien de causalité et les données scientifiques

L’arrêt du 9 juillet 2009 confirme ce qui avait été annoncé par la série d’arrêts rendus le 22 mai 2008. Désormais, l’appréciation du lien de causalité, sur le fondement de présomptions graves précises et concordantes, relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Et la caractérisation de ces présomptions apparaît très ouverte, les juges du fond pouvant largement s’affranchir des données scientifiques, objectives.
De fait, en l’espèce la Cour de cassation approuve les juges du fond qui retiennent un lien de causalité là où les études scientifiques « ne mettent pas en évidence une augmentation statistiquement significative ». Or, chacun sait que ce critère est déterminant sur le plan scientifique pour se prononcer sur l’imputabilité d’une pathologie à un médicament. Ainsi, face à une concomitance entre la prise du médicament et la maladie et l’absence d’antécédents qui pourraient constituer des facteurs propres aux patients, à défaut de démontrer que tout lien de causalité est formellement exclu sur le plan scientifique, raisonnement particulièrement rare en matière scientifique, les juges du fond pourront admettre l’existence d’un lien de causalité sans risquer la censure de leurs décisions.
L’un des moyens de lutter contre cette présomption reste toutefois d’apporter la preuve d’un facteur de risque propre au demandeur. Un tel exercice peut cependant s’avérer impossible lorsque, comme c’est le cas notamment pour la sclérose en plaques, l’étiologie de la pathologie est inconnue.
En revanche, si cette preuve est rapportée, elle peut effectivement conduire à exclure tout lien de causalité, comme l’a récemment jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 22 janvier 20098.
Enfin, les juges du fond restent libres, à condition de le motiver, de privilégier les données scientifiques et médicales sans pour autant  encourir la cassation9.
Reste qu’on peut à nouveau regretter que l’appréciation du lien de causalité dépende désormais de l’appréciation souveraine des juges du fond, ce qui entraînera nécessairement des contradictions entre les décisions portant sur un même produit et sur une même pathologie.