Si le marché de l’immobilier traverse un cycle épouvantable, taux d’emprunt et inflation prolongeant leur essor, d’autres facteurs viennent froisser l’image de l’agent immobilier. Et celle-ci n’avait pas vraiment besoin de ça…

Saisie par Bruno Le Maire d’une demande d’avis concernant le fonctionnement du marché français de l’entremise immobilière, l’Autorité de la concurrence a établi que la loi Hoguet du 2 janvier 1970 encadrant le métier de professionnel de l’entremise immobilière pourrait, "en raison de l’évolution du secteur, être clarifiée et assouplie" en ce qu’elle constitue "un frein à une offre de services innovants ou à une baisse des taux de commission qui sont en moyenne de 5,78% TTC en 2022, bien au-dessus de la moyenne de l’Union européenne (environ 4% TTC)". Une mauvaise nouvelle pour les agences immobilières, qui vient s’additionner à la hausse des taux, à l’inflation, à une image écornée, et menace une profession plus que jamais dans la tourmente.

Monopoly

Las du monopole de SeLoger et écœurés de ses augmentations tarifaires successives, quelques acteurs majeurs de l’immobilier avaient fait front commun en créant, en 2014, Bien’ici, berceau "d’une expérience nouvelle et positive dès le début de la recherche et d’une véritable alternative sur le marché des portails d’annonces pour s’émanciper des acteurs en position de monopole". Si le site affiche des statistiques acceptables, soit 8,7 millions de visites pour le seul mois de juin (source : SimilarWeb), son concurrent culmine à 19,5 millions de visites sur la même période. Et continue, de ce fait, à dicter la loi et donner le tempo. Plus récemment, SeLoger a ouvert ses portes aux particuliers, leur offrant d’héberger leurs annonces gratuitement. Plus que la gratuité, SeLoger autorise le vendeur à se saisir de l’outil des professionnels tout en lui présentant l’opportunité d’économiser le montant des honoraires d’agence en ouvrant la porte de son appartement cinq fois le samedi. L’estocade ?

Quand les acquéreurs ont la main, les vendeurs la perdent mais quand les vendeurs ne l’ont pas, les agences immobilières non plus

Immobilisation

Quand les acquéreurs ont la main, les vendeurs la perdent mais quand les vendeurs ne l’ont pas, les agences immobilières non plus. La connaissance du marché, qui faisait à la fois l’expertise de l’agent et un argument massue, est devenue accessoire, les professionnels ne sachant plus estimer un appartement compte tenu d’un marché guidé par des investisseurs en quête d’affaires et de vendeurs pressés. Si l’aplomb était une marque de fabrique, le balbutiement semble être devenu la norme, illustration d’une connaissance du marché qui ne convainc que lorsque celui-ci est figé. Quand tout le monde est libre de consulter le site Meilleurs Agents à sa guise, le particulier devient lui-même agent immobilier quand l’agent immobilier n’a plus grand-chose de particulier. "Les agents sont complètement pris au dépourvu lorsqu’il s’agit de justifier pourquoi un appartement qu’ils avaient estimé 100 000 euros de trop pour obtenir un mandat se retrouve soumis à une offre de 100 000 euros de moins confronté à ce qu’ils appellent la réalité du marché", témoigne Anthony, vendeur découragé qui nous déclare être "assommé d’amateurisme et de mensonges".

Profession de foi

Si le marché de l’immobilier s’abîme, les agences immobilières ne devraient pas s’exempter d’une forme d’aggiornamento. Quand le prix au mètre carré n’a cessé de progresser ces dernières années, les honoraires d’agences sont restés stables. Or si le prix d’un appartement augmente, les honoraires qui en sont un pourcentage, augmentent mathématiquement, à supposer que les appartements ne rétrécissent pas. Difficile alors de justifier de commissions qui grimpent lorsqu’une partie de la profession décline. Il ne s’agit pas là de faire de généralité mais un tarif, aussi déraisonnable puisse-t-il paraître, doit engager une prestation. Yves, ancien conseiller immobilier passé par les plus grands réseaux d’agences français, décrit "une profession qui engage des novices pour les faire passer pour des experts une semaine après" au terme d’une formation qui les a contraints à vendre un citron devant un parterre de managers impressionnés par la capacité des candidats à se prendre pour le loup de Wall Street. Un apprentissage complété par l'enseignement du fameux "C’est un mur porteur ça !" après examen minutieux dudit mur au moyen d’un tapotement adroit de l’index. Autrement dit, aujourd’hui, rien ne justifie vraiment le montant des honoraires pratiqués en France et dénoncés par l’Autorité de la concurrence.

Si le marché de l’immobilier s’abîme, les agences immobilières ne devraient pas s’exempter d’une forme d’aggiornamento

Si de nombreux propriétaires s’en remettent encore à l’expertise des agences immobilières pour commercialiser leur bien, il est désormais compliqué de vendre deux visites par semaine à 25 000 euros. Sinon, l’assainissement du marché qui semble se dessiner actuellement pourrait laisser croire que 25 000 euros, c’est beaucoup trop.  

Alban Castres