Dans une ère où l’économie est toujours plus décentralisée et dématérialisée, les data centers sont devenus l’objet de toutes les convoitises. Souvent qualifié de "nouvel or noir", cet actif s’inscrit toutefois dans le foisonnement de deux enjeux majeurs : économique et environnemental. Panorama d’un marché en plein essor.

Lors de l’inauguration du 8e data center d’Equinix à Pantin en février 2019, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire soulignait son ambition de faire de la France "la première terre d’accueil des data centers en Europe". Derrière cette aspiration, ce sont bien des enjeux divers qui ordonnent un marché d’infrastructures immobilières de niche, sujet à un essor continu. Dans un contexte d’explosion du numérique, l’expansion des data centers n’a cessé de gagner du terrain en France et au-delà des frontières.

Un dynamisme durable

"Les plus gros marchés européens de data centers de colocation sont Londres, Amsterdam, Paris, Francfort et Dublin maintenant. Sur les cinq, six dernières années, tous sans exception ont doublé de taille. Une réelle accélération a été amorcée par le Cloud, principalement Amazon Web Services, Microsoft Azure, Google Cloud", renseigne Séraphin Bravard, directeur data center solutions France CBRE. L'Hexagone en compte plus de 200 aujourd’hui, avec une concentration de 80% de l’offre à Paris. D’après McKinsey Global Institute, le volume mondial de données double chaque trois ans. Fort de cette croissance exponentielle et sous l’impulsion de technologies nouvelles telles que l’intelligence artificielle, le secteur demeure très dynamique depuis 2018. Selon une étude IDC, à l’échelle mondiale, une augmentation était prévue pour 2025, avec une taille estimée à 175 zettaoctets. "L’infrastructure digitale, qu’on le veuille ou non, est une nécessité", explique Séraphin Bravard. "On aura toujours besoin de stocker les serveurs quelque part. La puissance électrique sera toujours essentielle."

D’après McKinsey Global Institute, le volume mondial de données double chaque trois ans

Un défi environnemental

Le mode de fonctionnement des data centers est fondé sur la continuité de service. Microcoupures, hausse et baisse de tension sont à proscrire. Le serveur et l’ensemble des équipements sont alimentés par le courant des onduleurs. Ce dispositif intermédiaire a pour vocation de prévenir de potentielles coupures de courant mais aussi des risques de surtension. Dans ces cas de figure, ce sont les groupes électrogènes qui prennent le relais. Ainsi, la gestion de l’énergie constitue un enjeu majeur de cet actif énergivore. À l'origine de 16% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités numériques, son prochain défi est d’ordre environnemental. D’autant plus que le décret tertiaire, mesure gouvernementale s'inscrivant dans l'objectif de sobriété énergétique du secteur immobilier, accélère les préoccupations vers une nécessaire réduction de l’empreinte carbone des data centers. "Le décret tertiaire inclut l’univers des data centers. Pour mesurer la performance énergétique des bâtiments, un ratio sera déduit du PUE [Power Usage Effectiveness] et de la puissance IT. Plus ce ratio est proche de 1, plus le bâtiment est performant énergétiquement. Aujourd’hui, les datas centers les plus performants en France tournent autour de 1,2 et 1,3", précise le directeur data center solutions France CBRE. Mais, "à la différence des autres classes d’actifs, l’industrie des exploitants de data centers a nativement une conscience de devoir réduire sa consommation énergétique", assure Michael Cohen, directeur advisory data center chez CBRE. Le recours aux énergies renouvelables constitue une première réponse.  Ainsi, tous les centres de Scaleway (filiale Cloud d’Iliad) fonctionnent par l’intermédiaire des énergies éolienne et hydraulique, et ceux d’Equinix ont recours à 92% aux énergies renouvelables.

"La colocation va dans le sens de la performance énergétique. Aujourd’hui, les entreprises externalisent beaucoup via les applications Cloud"

La colocation wholesale : une solution en partage

Nombreuses sont les entreprises qui optent pour la colocation en vue d’héberger leurs données, au détriment du schéma classique, c’est-à-dire la possession de centres de données en interne. La tendance est à l’externalisation. Au-delà du gage de sécurité et de flexibilité, cette option comporte deux avantages principaux. Tout d’abord le coût : la colocation peut être plus rentable de 19% à 64% que la construction d’un data center. Un intérêt décuplé par l’augmentation récente des taux. Car, comme le souligne Michael Cohen, "le marché des data centers possède certaines particularités puisqu’il est assez dépendant des capitaux qui sont investis. Il requiert des investissements massifs pour héberger les infrastructures qui vont alimenter les serveurs. La hausse des taux pousse à avoir un regard beaucoup plus attentif sur l’investissement dans l’univers des data centers". L’autre avantage est écologique. "La colocation va dans le sens de la performance énergétique. Aujourd’hui, les entreprises externalisent beaucoup via les applications Cloud. Ou sinon elles font de l’hybride en mettant 80% sur des applications Cloud, et vont garder 20% de charges qu’ils peuvent choisir de maintenir dans leurs locaux. Ce n’est plus dans l’ère du temps. Ces 20%, il faut les mettre dans des data centers de colocation. Le but de ces bâtiments : être le plus performant possible énergétiquement. Pour les entreprises, cette migration est  intrinsèquement liée à un geste écologique", abonde Séraphin Bravard.

Au vu de l'explosion de la production de données, les data centers constituent sans conteste un actif d'avenir. A condition de relever le défi énergétique et d'innover dans les usages. Les acteurs du secteur se mettent en ordre de marche.

Aicha Fall