Chaque année, la Marine nationale recrute plus de 4 000 nouveaux talents. Ce flux tendu en matière de recrutement ne la dispense nullement d’une sélection exigeante et de l’impératif d’attirer et retenir des talents singuliers. Le lieutenant de vaisseau (LV) Étienne Baggio, chef du bureau marketing RH de la Marine nationale, explique la stratégie RH mise en place avec l’aide, entre autres, de Nolwenn Pigault, Chief Marketing Officer chez Golden Bees, accélérateur des stratégies digitales et publicitaires RH.
Décideurs RH. Rencontrez-vous des difficultés importantes à recruter de nouveaux talents ?
Lieutenant de vaisseau Étienne Baggio. Les armées représentent le premier recruteur de la jeunesse en France. Ce sont plus de 26 000 jeunes qui sont recrutés chaque année au sein des armées de France et un peu plus de 4 000 pour la Marine. Nous avons complètement fait évoluer notre politique de recrutement ces dernières années. En cinq ans, nous sommes passés d’une logique de déflation à une politique de recrutement ambitieuse. Lors des précédentes décennies, notre priorité était l’offboarding, à savoir comment accompagner les militaires vers une reconversion dans la vie civile. À présent nous travaillons sur notre attractivité et l’onboarding de nos jeunes talents. En 2018, nous recrutions 3 500 marins par an et depuis trois ans, nous parvenons à intégrer plus de 4 000 femmes et hommes au sein de la Marine.
Comment s’organise le recrutement d’un tel volume de talents ?
Cet important volume s’explique par le turnover de notre masse salariale inhérent aux armées dû à notre impératif de jeunesse : nous renouvelons 10% de nos effectifs tous les ans. Toutefois, chacun des recrutements effectués se doit être de qualité. Être marin ne constitue pas qu’une diversité de métiers, il s’agit aussi d’un engagement fort, d’un environnement d’emplois exigeants et de valeurs puissantes. C’est une véritable aventure professionnelle. Lorsque nous sommes sur une frégate au cœur de l’océan Pacifique ou Indien, chaque marin compte : du cuisinier au responsable des réseaux, en passant par le détecteur, le responsable de la sécurité ou des télécommunications... Nos recrutements concernent 80 métiers différents pour lesquels nous devons trouver des profils motivés, qui ont la « niaque » ! Nos processus de recrutement sont très exigeants et s’étalent sur plusieurs semaines, voire des mois. Dans le même temps, un navire qui n’a pas son équipage au complet ne peut pas partir en mer pour remplir avec succès sa mission. Nous devons donc élaborer une stratégie RH ambitieuse et adaptée à nos propres spécificités et aux attentes de la jeunesse.
"La guerre des talents va perdurer. J’invite les employeurs à se tourner vers les French Techs, la France possèdant de véritables pépites en innovation RH !"
Comment travaillez-vous votre marque employeur ?
Nos processus de recrutement sont bien plus longs que ceux du marché de l’emploi, il nous faut donc miser sur une expérience candidat de qualité. Pour 4 000 recrutements, nous recevons près de 30 000 candidatures. Cela représente une masse de données importante non négligeable qu’il faut traiter, trier, exploiter. Nous travaillons avec plusieurs partenaires. La solution de recrutement programmatique de Golden Bees nous offre la possibilité de travailler sur une stratégie RH ciblée et surtout constante. Nous avons pu construire notre marque employeur en écoutant d’abord les besoins et attentes des candidats. En plus de nos valeurs républicaines telles que la méritocratie, l’égalité des chances et l’inclusion, nos valeurs RH employeurs sont en effet très puissantes : diversité des métiers, formation professionnelle, évolution professionnelle... Toutefois, si nous n’avions pas effectué un travail en amont afin de connaître ce que les candidats attendent, nous serions sans doute restés sur l’idée des valeurs classiques propre à une institution régalienne… Or ils ont des attentes spécifiques comme le développement de compétences techniques, le travail en équipe, la sécurité de l’emploi, la recherche de prise de responsabilité, l’exercice d’un métier utile et concret…
Vos ambitions pour 2023 et 2024 ?
La guerre des talents va perdurer. J’invite les employeurs à se tourner vers les French Techs, la France possède de véritables pépites en innovation RH. Il faut anticiper la diversification des métiers et leur transformation. Le combat n’est jamais gagné, nous serons exposés à de nouveaux besoins à la fois sur des métiers très experts, par exemple, en termes de cybersécurité ou de nucléaire mais aussi concernant l’attractivité de jeunes sans qualification académique. Nous anticipons nos besoins RH pour les cinq, dix, vingt ans à venir et devons tenir ce cap, tout en nous adaptant au contexte du moment, comme le Covid ou la guerre en Ukraine. En bon marin, cela exige de notre part de la constance, du pragmatisme et de l’humilité.
Propos recueillis par Elsa Guérin