Le 17 novembre 2023, à Bercy, Bruno Le Maire a présenté la candidature de Paris pour accueillir l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (Amla) aux 27 États de l’Union européenne. Le gouvernement promet l'allocation de 15 millions d’euros pour l’installation de l’Amla et de ses futurs agents au sein de la capitale.

Paris, siège de la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent, aussi appelée Amla ? C’est en tout cas l’ambition de la France qui a déposé sa candidature le 10 novembre 2023. Une localisation à Paris “placerait l’Amla au cœur de la première place financière de l’Union européenne et d’une métropole connectée aux capitales et aux places financières européennes et mondiales”, a expliqué Emmanuel Macron, dans l’édito du dossier de candidature. Une semaine plus tard, ce sont Bruno Le Maire, Laurence Boone, secrétaire d'État chargée des Affaires européennes, Alexandra Dublanche, vice-présidente de la région d’Île-de-France et Robert Ophèle, président de l’autorité des normes comptables, qui ont présenté leurs arguments en faveur du projet devant un parterre d’ambassadeurs des États membres, de députés européens et de représentants de l’écosystème de la supervision bancaire. Le gouvernement avait confié à Robert Ophèle, ancien sous-gouverneur de la banque de la France, et ancien président de l’Autorité des marchés financiers, la tâche de piloter et de porter la candidature, annoncée dès la fin 2022.

Pourquoi la Ville Lumière ?

Dans le dossier, la France met l’accent sur son rôle moteur dans la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (LBC/FT). Premier contributeur budgétaire européen du Groupe d’action financière (Gafi), elle verse un million d’euros chaque année en plus de sa contribution obligatoire à l’organisation. En 2019, c’est à l’initiative de la France que le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté sa première résolution (2642) consacrée spécifiquement à la lutte contre le financement du terrorisme. Et puis, c’est dans la capitale française que se sont installés le Gafi, au siège de l’OCDE, en 1989, et l’Autorité bancaire européenne (ABE), à la Défense, trente ans plus tard, après le Brexit. Emmanuel Macron fait valoir le potentiel de la ville pour créer des synergies entre l’Amla et ces autorités déjà implantées sur le sol français. La maire de la ville, Anne Hidalgo, atteste de l’engagement durable de Paris dans une politique de lutte contre la corruption et des conflits d’intérêts. Preuve en est dans “le travail réalisé pour encadrer l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024”.

Pour faire face aux 8 villes concurrentes, la France met l'accent sur son rôle moteur dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

Guide Michelin

L’opération séduction se poursuit sur une vingtaine de pages. Au-delà du vivier institutionnel qu’est la place parisienne, la ville est le bastion économique du pays. Avec six millions d’emplois hautement qualifiés et un million d’entreprises, l’Île-de-France génère à elle seule 5,3 % du PIB de l’Union européenne selon les chiffres gouvernementaux. La région est aussi le premier centre financier de l’UE. Elle abrite 362 000 professionnels du secteur. Depuis peu – conséquence du Brexit, de la baisse de la livre et de la morosité économique assortie –, la place boursière de Paris est passée devant celle de la City. Et puis, le bassin parisien regorge d’opportunités. Le dossier de candidature promet aux quelque 400 futurs agents et salariés de l’Amla des emplois pour leurs conjoints et un cadre de vie de qualité pour les familles : écoles, crèches, médecins, et une vie culturelle riche. Le dossier ne se prive pas d’évoquer les 134 restaurants parisiens étoilés par le guide Michelin. Ni les 3 900 monuments historiques, les 320 cinémas, les 297 théâtres, les 169 musées et les 5 opéras. Tous les atouts de la ville sont passés au peigne fin.

Et quel quartier pour le siège ? C’est la Défense qui semble privilégiée avec deux immeubles proposés :  la tour Cœur Défense et de la Tour Hekal. La troisième option se situe dans le 12e arrondissement, avec le futur immeuble bas carbone Messager. Le CO2 est un autre argument du dossier d’ailleurs. “Être à Paris permet d'assister à toutes les réunions à un coût très faible en matière d'émissions carbone. Surtout, cela permet un alignement et une présence que n'aura jamais un autre pays”, a ajouté Laurence Boone.

La Défense semble le lieu privilégié

15 millions d’euros

Paris se mesure à huit villes concurrentes : Bruxelles (Belgique), Dublin (Irlande), Francfort (Allemagne), Madrid (Espagne), Riga (Lettonie), Rome (Italie), Vienne (Autriche), Vilnius (Lituanie). Outre-Rhin, le ministre des Finances soutient qu'un siège à Francfort, abritant déjà la Banque centrale européenne (BCE) et le Mécanisme de surveillance unique (MSU), serait idéal pour “faciliter le contrôle direct des plus grands fournisseurs de services financiers d'Europe”. À l’opposé, l’Irlande se dit favorable à une répartition plus équilibrée des agences sur le territoire de l’Union européenne. Quant à Vienne, elle se targue d’avoir été classée quatre fois en cinq ans au sommet du classement The Economist comme “ville où il fait le meilleur vivre au monde". Plus au sud, l’Italie propose une enveloppe de deux millions par an pour couvrir les frais d’éducation des enfants du personnel de l’autorité.

Quant à l’État, Bruno Lemaire est prêt à verser 15 millions d’euros pour l’installation de l’Amla. La France met les moyens pour attirer sur son territoire la première autorité européenne LBC/FT. Proposé dans un projet de règlement européen en juillet 2021, le nouveau régulateur a été pensé pour renforcer et unifier la lutte contre blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sur le territoire de l’Union européenne. Dotée de pouvoirs de surveillance, l’Amla aura pour mission de contrôler des établissements de crédit et des institutions financières, en les classant en fonction de leur niveau de risque. Elle aura le pouvoir de réclamer aux entreprises et aux particuliers de lui transmettre des documents ou des informations ou d’aller chercher l’information à la source avec des visites sur place. Et si l’Amla débusque des coupables, elle pourra les punir à hauteur d’un montant égal 10 % du chiffre d’affaires.

Ce n’est pas un hasard du calendrier si l’Amla arrive sur le tapis quelques mois après le QatarGate – le scandale de corruption par le Qatar au Parlement européen révélé en décembre 2022. Pour l’Espagnole Eva Maria Poptcheva, membre du groupe Renew Europe et corapporteure sur l’Autorité anti-blanchiment, “l’AMLA va véritablement changer la donne en permettant à l’UE de mettre fin au nationalisme économique qui a alimenté cette blanchisserie”.

Le bulgare Emil Radev, corapporteur sur l’Autorité anti-blanchiment, issu des Démocrates-Chrétiens explique :  “Au-delà de la surveillance directe d'entités sélectionnées, l'Amla favorisera l'adoption de normes élevées, la convergence et la création d'une culture commune parmi les autorités de surveillance nationales.” Le nouveau régulateur doit également permettre de surmonter les problèmes de coordination entre les autorités nationales de surveilles et les unités de renseignement financier. Selon lui, l’Autorité pourra garantir une “grande sécurité financière dans un environnement transfrontalier où les risques ne cessent de croître." À ce jour, la Commission évalue encore les dossiers de candidatures. Les Vingt-Sept ont jusqu’à la fin de l’hiver pour faire leur choix.

Nora Benhamla et Anne-Laure Blouin