Les tribunaux d’activités économiques du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023‑2027 passent l’épreuve de l’Assemblée nationale. Le dispositif devrait être testé pendant quatre ans, dans neuf à douze tribunaux de commerce. Quelques points de tension cependant : l’absence d’échevinage, l’intégration des professions agricoles et la contribution économique.

Les tribunaux de commerce en passe de devenir des “tribunaux des activités économiques”. Simple changement de nom comme l’affirme la présentation de l’article 6 du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023‑2027 ? Les débats à l’Assemblée nationale sur le sujet laissent penser le contraire. Adopté par le Sénat le 8 juin, le dispositif devrait être testé à titre expérimental pendant quatre ans, dans neuf à douze tribunaux de commerce. 

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Pour les activités commerciales et artisanales, “les marchands jugent les affaires des marchands” comme l’a résumé la députée insoumise Élisa Martin. Une exception française : plus aucun pays développé n’a conservé ce fonctionnement. La réforme suggère d’intégrer les autres affaires économiques, aujourd’hui dans l’office du juge judiciaire, dans le champ de compétences de cette juridiction d’exception – d’où l’adaptation de l’intitulé. L’une des principales interrogations tient à la place du juge professionnel dans le TAE. La députée socialiste Cécile Untermaier déplore l’abandon par le Sénat du texte initial qui prévoyait la présence d’un magistrat professionnel comme assesseur, “une excellente idée” qui permet notamment au juge judiciaire de “ne pas perdre la main” sur le domaine majeur de l’économie. Pour elle, les juges bénévoles et élus par leurs pairs "n'auront la connaissance ni des milieux économiques, ni des pratiques des nouvelles personnes physiques ou morales sur lesquelles ils auront à statuer, ni les compétences juridiques exigées". À l’autre bout du paysage politique, Philippe Schreck, député du parti Rassemblement national chargé des questions de justice, craint que l’expérimentation ne débouche sur “une déjudiciarisation de la justice civile”

Parent pauvre

La juridiction, nouvelle que par son nom donc, verrait sa compétence étendue en matière de procédures amiables et collectives. Expérimenter une juridiction unique en procédures collectives est indispensable pour le ministre Éric Dupond-Moretti. Selon lui, le partage de compétences entre les tribunaux de commerce et les tribunaux judiciaire en la matière manque de “visibilité”. Cette fois, ce sont les professions réglementées qui montent au créneau. Le 13 janvier dernier, le Centre national des barreaux a voté une résolution contre l’intégration des avocats dans le champ de compétences des TAE en matière de difficultés des entreprises. Ils constituent des “acteurs économiques particuliers soumis à une déontologie stricte” caractérisée par leur indépendance et leur secret professionnel. Le gouvernement ajoute à cela l’absence d’éligibilité des avocats, des notaires, des huissiers de justice, des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers de tribunal de commerce, des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. “Il n'y aurait que peu de sens” à les inclure dans l’expérimentation. Si les sénateurs avaient laissé les professions réglementées dans l’office des TAE, les députés les en ont exclus.

Autre point de tension : le sort des professions agricoles. Traditionnellement soumis au juge judiciaire, le projet de loi suggère d’intégrer leurs affaires dans les attributions des TAE. La députée France insoumise Élisa Martin s’oppose fermement à l’idée, à l’instar de la Confédération paysanne. La confédération de syndicats départementaux souligne un risque de conflit d’intérêts inhérent à la désignation d’un juge consulaire sur proposition des chambres d'agriculture. “Cette procédure n'apporte pas les garanties nécessaires en termes d'indépendance et d'impartialité, compte tenu du cumul des fonctions dans des entités potentiellement créancières : MSA*, coopératives, banques, assurances, centres de gestion…” Pour le garde des Sceaux, intégrer les agriculteurs permettrait de les faire bénéficier de la “culture de prévention qui est au cœur de la pratique professionnelle des juges consulaires”. Sans oublier l’argument habituel de l’efficacité des tribunaux de commerce : le taux d’appel des décisions des juges élus est décrit comme beaucoup plus faible que celui des juridictions civiles. 

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Les deux chambres ont par ailleurs validé le principe de la contribution économique. “Une justice à péage” qui marque une “ligne rouge” pour le député Rassemblement national Philippe Schreck. Pour Philippe Gosselin, député Les Républicains, si la justice est gratuite, elle a un coût. Il n’est “pas choquant qu’il y ait des participations”. Selon l’étude d’impact du gouvernement, cette contribution pour la justice économique rapporterait annuellement entre 5,3 à 33,2 millions d’euros au budget de l’État. Quelques millions à reverser à ce “parent pauvre“ du budget français. L’expérimentation ferait l’objet d’une évaluation – un rapport du gouvernement au parlement – six mois avant son terme. Pour le moment, les députés poursuivent leur examen du texte les 11, 12 et 13 juillet prochains. 

Anne-Laure Blouin