La France l’a inscrit dans le champ des pratiques commerciales trompeuses, l’Union européenne peaufine ses textes, la justice allemande a franchi l’étape de la perquisition des locaux de la Deutsche Bank : le greenwashing est traqué. Aux acteurs du monde de la finance de se préparer, même si le cadre juridique de la finance durable est encore en construction.

Fin mai, la justice allemande perquisitionnait, à Francfort, les locaux de la Deutsche Bank et de sa filiale de gestion de fonds DWS dans le cadre d’une enquête pour fraude sur des investissements présentés “plus verts et durables” qu’ils ne l’étaient réellement. Dans ses communications commerciales, l’institution financière aurait gonflé la part occupée par ses investissements ESG, en réalité peu pris en compte dans un grand nombre de placements effectués par le gestionnaire d’actifs.

"L’exemple allemand pourrait inspirer les autorités et juridictions voisines"

La sphère financière française doit-elle s’inquiéter à son tour ? Certes, le cadre juridique qui entoure la finance durable est en pleine construction. Mais son objectif est déjà affiché : le régulateur veut cibler le greenwashing, qui est de nature à tromper les investisseurs. La difficulté ? "La lutte contre les risques environnementaux est nouvelle pour la finance de marché et s’articule avec l’objectif de protection des épargnants et d’intégrité des marchés. La lutte contre le greenwashing ou écoblanchiment relève de ce même objectif", explique Élodie Valette, associée chez Bryan Cave Leighton Paisner. La France a déjà bien avancé sur le sujet. Il faut dire que l’Hexagone fait figure de précurseur sur les sujets RSE, avec sa loi Sapin 2, la déclaration de performance extra-financière, sa loi sur le devoir de vigilance, sa loi Pacte, sa loi Climat et résilience. Cette dernière a d’ailleurs intégré le greenwashing dans le champ des pratiques commerciales trompeuses. L’AMF a également défini les critères RSE qui permettent d’évaluer un acteur économique en dehors des critères financiers habituels. "Tous ces instruments RSE sont devenus à la fois un nouvel outil de communication pour les entreprises, mais aussi une nouvelle source de responsabilité pour ces dernières", développe l’avocate. Les acteurs financiers n’échappent pas à la tentation : communiquer sur leur politique RSE est essentiel à leur développement.

Frontière mince

Le tout est de réussir à trouver la bonne communication. Lorsque l’on parle d’engagements ESG ou RSE, les risques – réputationnel, de marché, amendes réglementaires – sont élevés. Or, fait remarquer Élodie Valette, "la frontière entre une communication limitée à ce qui est effectivement mis en œuvre sur le plan RSE et le greenwashing est mince". On peut vite basculer dans le marketing abusif, et c’est là que l’on tombe dans les pratiques commerciales trompeuses. Prudence, donc, car "les poursuites en matière de changement climatique pourraient aussi viser les institutions financières", prévient l’associée. Jusqu’à présent, celles qui ont pu être intentées n’ont pas été plus loin. Certains établissements financiers sont impliqués dans des affaires pour pratiques commerciales trompeuses, mais pas sur le terrain du greenwashing. Mais le monde de la finance doit rester vigilant : "On peut imaginer que les contrôles pour vérifier que les allégations environnementales correspondent bien à la pratique se développent, car les autorités de régulation sont devenues parties prenantes de la finance durable dans laquelle s’inscrit la lutte contre le greenwashing." L’exemple allemand pourrait inspirer les autorités et juridictions voisines, en France, dans le reste de l’Europe ou à l’étranger.

"La transparence en matière de finance durable doit être le maître mot pour les acteurs de l’industrie financière"

D’autant qu’à l’échelle européenne aussi, les choses bougent. La directive CSRD est attendue pour le mois d’octobre, avec une application prévue dès 2024. Il y a aussi le règlement taxonomie, entré en vigueur en janvier dernier, mais avec une application progressive. Pour les acteurs financiers, "il est difficile de savoir comment toutes ces règles vont s’articuler", observe Élodie Valette. Ce que peuvent faire les entreprises pour se protéger ? "La transparence en matière de finance durable doit être le maître mot pour les acteurs de l’industrie financière. Il n’y a pas de solution miracle même si les critères dégagés par le règlement Taxonomie et ses suites sur la classification des investissements durables – bien qu’ils ne traitent pas de tous les secteurs d’activité - sont de nature à leur permettre d’évaluer la durabilité de leurs démarches et ainsi éviter le greenwashing". Les entreprises continuent de renforcer leurs départements juridique et conformité, "mais on en revient toujours au même point : comme la finance durable est en pleine construction, il faut attendre les prochains textes, leur transposition et l’évolution de la jurisprudence".

Olivia Fuentes