Christophe Régnard président de l'Union des magistrats

Christophe Régnard président de l'Union des magistrats
Egalement vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de Nanterre.


Décideurs. Comment jugez-vous la proposition de loi déposée par l'élu socialiste de l'Isère, André Vallini, défendant la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue ?

Christophe Régnard.
Cette proposition est la seule option conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Je comprends que les syndicats de police soient réticents, mais l’avocat n’est pas l’ennemi de l’enquête ! Après tout, la présence effective de l’avocat en garde à vue existe partout ailleurs. Reste qu’il faudrait alors renforcer leurs obligations déontologiques, notamment en matière de discrétion et de secret professionnel.
Pour l’heure, ni la mini-garde à vue envisagée par la Commission Léger, ni la proposition d’audition dite « libre » de Michèle Alliot-Marie ne sont conformes à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Toutes deux laissent subsister une zone sans droit effectif pour la défense. Or, on ne peut faire fi de cette convention.
Les propositions avancées par la Chancellerie restent nettement insuffisantes en termes de présence effective de l’avocat aux côtés de son client. Par ailleurs, force est d’admettre qu’en dépit de la proposition de loi, le texte ne permettra pas de réduire de façon significative le nombre global de gardes à vue, alors même que sont maintenus les régimes dérogatoires. 


Décideurs. Justement, comment les magistrats expliquent-ils le grand bond en avant des gardes à vues (+140 % en huit ans) ?

C. R.
Plusieurs raisons à cela. Il est vrai que depuis 2002, le nombre d’infractions a bondi. Si bien qu’on oublie désormais qu’initialement, la garde à vue est une mesure de protection. La correctionnalisation des défauts d’assurance et le cas des chauffards ont grandement contribué à cette hausse. De surcroît, la jurisprudence de la Cour de cassation, qui exige le placement en garde à vue dès lors que la personne a fait l’objet d’une interpellation et donc d’une contrainte, ont conduit à une augmentation du nombre des mesures.
Mais prioritairement, au-delà de ces causes, c’est la politique actuelle, qui promeut le chiffre et le résultat, qui contribue pour bonne part à cette augmentation du nombre de gardes à vue. Dans le texte de la loi d'orientation pour la sécurité, adopté en février par l'Assemblée, le garde des Sceaux se félicite « d'un nombre de personnes placées en garde à vue progressant de 51,52  % » entre 2002 et 2008. Enfin, se pose la question du contrôle effectif des mesures par des magistrats du parquet de plus en plus débordés et submergés par les charges nouvelles imposées au fil des lois votées.


Décideurs. La révision du dispositif de la garde à vue doit-elle s'inscrire dans une réforme d'ensemble de la procédure pénale ?

C. R.
Les propositions relatives à la garde à vue doivent sans nul doute s’inscrire dans l’ensemble plus large de la procédure pénale. Pour le moment, en dépit des annonces de Michèle Alliot-Marie en ce sens, des trous béants restent présents dans les textes présentés.

À l’heure où après n’importe quel fait divers on présente un texte de loi, pareille réforme doit prendre le temps nécessaire à sa préparation. D’ailleurs, même au sein de cabinet de Michèle Alliot-Marie, nous avons cru comprendre qu’on n’envisageait pas l’entrée en vigueur de la loi avant 2014 ! Aux yeux de tous, il s’agit d’une thématique avec des enjeux démocratiques majeurs. Le consensus politique sur la question est indispensable. Or, pour l’instant, les coups de balancier au gré des alternances politiques nuisent gravement à l’équilibre, nécessaire de la procédure pénale. Et qu’en sera-t-il en cas de changement de majorité en 2012 ?
De notre côté, de concert avec le Conseil national des barreaux, nous souhaitons voir le mauvais projet actuel retiré. Ce sont les bases du texte qui posent problème. Tout amendement est quasi impossible. D’ailleurs, nous présenterons début avril des propositions communes en matière de réforme de la procédure pénale.