Si da les années 1990, la vague anglo-saxonne a déferlé sur l’Allemagne, la France et le Benelux à grands renforts d’absorptio de cabinets locaux, ce n’est que récemment – et plus timidement − qu’elle est arrivée en Espagne. Les cabinets nationaux dominent encore largement leur marché. Mais pour combien de temps ?

Si dans les années 1990, la vague anglo-saxonne a déferlé sur l’Allemagne, la France et le Benelux à grands renforts d’absorptions de cabinets locaux, ce n’est que récemment – et plus timidement − qu’elle est arrivée en Espagne. Les cabinets nationaux dominent encore largement leur marché. Mais pour combien de temps ? Zoom sur une place européenne atypique.


Contrairement à la France et à l’Allemagne, l’Espagne ne s’est pas imposée, dans les années 1990, comme une étape stratégiquement indispensable à l’expansion des cabinets anglo-saxons en Europe continentale. Pendant longtemps en effet, l’Espagne a été boudée par les Américains et les Anglais, pâtissant d’une image de pays agricole. Il faut rappeler qu’à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, là où d’autres États européens s’ouvraient au commerce international, l’Espagne subissait un régime militaire et dictatorial et ce, jusqu’à la mort du général Franco, en 1975. Aujourd’hui pourtant, plus de vingt ans après son entrée au sein de l’Union européenne (1986), elle représente la quatrième économie européenne et reste, malgré un contexte général de crise, le second partenaire commercial de la France. Le pays est également l’un des plus importants constructeurs automobiles au monde.


Un engouement récent

Depuis près de cinq ans, firmes américaines et britanniques s’implantent dans la péninsule, comblant un vide dans leur couverture de l’Europe continentale. Et ce mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur. En témoignent les arrivées récentes du cabinet américain Dewey & LeBoeuf durant l’été 2009, et celles des Britanniques Herbert Smith et Watson Farley & Williams, respectivement en mai et novembre 2009 (cf. tableau 1).

Pour les structures venues d’outre-Atlantique, le poids de l’économie espagnole pour leurs activités n’est pas négligeable : certains de leurs clients sont d’origine espagnole, d’autres ont des intérêts à investir dans la région, voire au-delà, en Amérique du Sud. Pour d’autres acteurs, à l’image de l’Anglais Watson Farley & Williams, le choix de pénétrer le marché espagnol a été orienté par l’attrait que représente Madrid dans le domaine des énergies renouvelables.

Si l’Espagne n’a pas été une étape prioritaire des Anglo-Saxons dans leur conquête de l’Ouest européen, les cabinets espagnols ont vécu cette attirance tardive comme une véritable opportunité. 

 Comme l’explique Nuria Bové Espinalt, associée responsable du bureau parisien de Cuatrecasas Gonçalves Pereira, « Nous avons pris le temps de nous structurer et de nous moderniser, prenant le plus souvent exemple sur le modèle organisationnel anglo-saxon ».
Ces mêmes cabinets ont également eu le temps de préparer leur internationalisation – soit par le jeu d’alliance, soit par l’ouverture directe de bureaux − en Amérique latine, en Europe, et en Asie.

Un régime juridique et fiscal régional

Au même titre que l’Allemagne, l’Espagne est un État décentralisé où l’existence des communautés autonomes est un élément clé dans la compréhension du marché juridique local (cf. carte ci-dessous).

Si Madrid concentre indéniablement les pouvoirs politiques et financiers – toutes les banques y ont leur siège social –, les régions, du fait de leur autonomie en termes de régime juridique et fiscal, ont développé une économie locale. En Espagne, « pour suivre un client, il est indispensable d’être présent dans l’ensemble des provinces et de développer une offre full service », confirme Fernando Vives, co-managing partner de Garrigues, le plus grand cabinet espagnol en termes d’effectifs et de facturation.
La firme est ainsi implantée dans vingt-six villes espagnoles ! Mais le poids de ces différents bureaux dans le chiffre d’affaires du cabinet n’est toutefois pas le même. De manière générale, la région madrilène concentre le plus grand nombre d’avocats espagnols, suivie de Barcelone, Valence, Séville et Malaga. Les structures américaines et anglaises, elles, sont présentes, pour la plupart, dans la capitale, mais aussi à Barcelone, comme Baker & McKenzie, Freshfields Bruckhaus Deringer ou encore Clifford Chance. Certains se sont même installés à Alicante où siège l’Office d’harmonisation du marché intérieur (OHMI), le bureau communautaire d’enregistrement des marques et des dessins.

Fort d’une équipe d’experts en propriété intellectuelle, le Britannique Lovells (qui s’apprête par ailleurs à fusionner avec l’Américain Hogan & Hartson) a ainsi ouvert un bureau dans la métropole.


Un marché mature, dominé par les Espagnols

Aujourd’hui, le marché juridique national reste dominé par trois cabinets espagnols indépendants : Garrigues – qui s’impose, avec ses 2 000 avocats, comme le géant espagnol –, Cuatrecasas Gonçalves Pereira, et le prestigieux Uría Menéndez (cf. tableau 3).
Ces trois leaders sont également tous présents à l’international : non seulement en Amérique du Sud, mais également en Afrique du Nord (plus particulièrement au Maroc), en Asie et en Europe, du Royaume-Uni à la Pologne, en passant par le Portugal.
Outre ce trio de tête, d’autres firmes nationales figurent parmi les meilleurs acteurs de la place : Gómez-Acebo & Pombo Abogados, Perez Llorca, Ramón y Cajal Abogados, Roca Junyent ou encore CMS Albiñana & Suárez de Lezo. Chacun regroupe en moyenne une centaine d’avocats.

Fernando Vives revient sur cette domination générale des Espagnols : « Les cabinets nationaux ont su développer des équipes solides et compétentes dans l’ensemble des domaines du droit, conseillant les plus grands groupes espagnols depuis de nombreuses années », notamment ceux de l’Ibex 35, le principal indice boursier espagnol.
Mais la concurrence des Anglo-Saxons gagne du terrain. Présents en Espagne depuis les années 1990, et même depuis 1980 avec l'arrivée de Clifford Chance, les cabinets membres du magic circle ne disposent pas encore d’effectifs semblables à ceux d’un Cuatrecasas, d’un Garrigues ou d’un Uría Menéndez (cf. tableau 4). Mais ils gagnent en visibilité depuis quelques années, tout particulièrement pour les opérations corporate. Aujourd’hui, ces firmes cherchent à se renforcer localement pour devenir de véritables acteurs full service en Espagne. Et se rapprocher des leaders incontestés du marché.

À titre d’exemple, le cabinet britannique Linklaters a recruté, à l’automne dernier, deux nouveaux associés pour élargir son offre de services à Madrid. En septembre 2009, c’est le spécialiste du contentieux Francisco Malaga qui a rejoint le cabinet du magic circle, depuis Cuatrecasas. Un mois plus tard, Linklaters recrutait un spécialiste du droit public chez l’Espagnol CMS Albiñana & Suárez de Lezo, Jose Gimenez.


L'heure est au rassemblement

Le marché juridique espagnol semble ainsi entrer dans une nouvelle période de son histoire. Ce constat se confirme du côté des structures espagnoles de taille moyenne (moins de cinquante avocats), où l’heure semble être au rassemblement.
Depuis le début de l’année 2010, deux fusions ont d’ores et déjà eu lieu. En février dernier, les cabinets de niche Larrauri Abogados – spécialisé en IP/IT – et J Marti Abogados, expert en fiscalité, ont donné naissance à une nouvelle firme d’une vingtaine d’avocats baptisée Larrauri & Marti.
En avril dernier, le cabinet barcelonais Vialegis a décidé d’unir ses forces avec celles de Dutilh Abogados, né à Madrid en 2005. La nouvelle structure – Vialegis Dutilh – regroupe près de 90 avocats.


Ces opérations, encore rares sur le marché espagnol, devraient se multiplier dans les mois et années à venir : le contexte de crise devrait pousser les nombreuses boutiques espagnoles à se rapprocher pour faire naître de nouveaux acteurs indépendants et pluridisciplinaires. Et résister encore aux Anglo-Saxons ? 

Mai 2010