La procédure de sauvegarde, mise en place en 2006 pour prévenir la défaillance des entreprises en difficulté, n’a pas connu un succès immédiat. C’est seulement suite à sa réforme, il y a un an et demi, que cette pratique a commencé à séduire… mais également à révéler ses failles.

La procédure de sauvegarde, mise en place en 2006 pour prévenir la défaillance des entreprises en difficulté, n’a pas connu un succès immédiat. C’est seulement suite à sa réforme, il y a un an et demi, que cette pratique a commencé à séduire… mais également à révéler ses failles.

Du droit des faillites à la procédure de sauvegarde, l’évolution de la sémantique juridique révèle un changement profond dans la façon de traiter les difficultés des sociétés. Nous sommes passés d’une posture curative à une attitude préventive, dont la procédure de sauvegarde constitue le principal outil. La culture juridique de l’anticipation succède ainsi à celle de l’évacuation et permet de proposer aux sociétés de régler leurs défaillances avant qu’elles ne les conduisent à la faillite.


Une ceinture de sécurité juridique pour le dirigeant

Deux ans seulement après son entrée en vigueur, la loi de sauvegarde des entreprises connaît une réforme qui marque la volonté du gouvernement de permettre aux sociétés de résoudre leurs problématiques le plus tôt possible. Cette réforme, en vigueur depuis janvier 2009, assouplit les conditions d’ouverture de la procédure de sauvegarde, met en avant la conciliation et améliore l’application de la liquidation judiciaire.
La procédure de sauvegarde est l’instrument clé de ce nouveau droit préventif. Procédure collective, publique, emportant des effets dérogatoires au droit commun (notamment le gel des créances et la suspension des poursuites), elle a été conçue comme une ceinture de sécurité juridique pour le dirigeant qui anticipe une période de fortes turbulences. Selon l’article L620-1 du Code de commerce, le demandeur doit justifier «?de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter?». Appréciés par le tribunal à la date de demande d’ouverture, les problèmes doivent être suffisamment graves pour que le mandataire social ne puisse les résoudre seul. Évolution toutefois notable de la loi, le texte réformé n’exige plus que ces obstacles soient de nature à conduire à la cessation de paiements.

Ainsi, et toujours d’après le même article de loi, la procédure de sauvegarde est «?destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif?». Elle permet donc avant tout aux mandataires sociaux de la société, stabilisés dans leur fauteuil de pilote et temporairement protégés des créanciers, d’opérer une réorganisation financière et opérationnelle qui assurera la continuité de l’activité.

 Le succès de la procédure réformée ne s’est pas fait attendre. En 2009, bien que le nombre total de procédures de traitement ouvertes en France ait connu une forte augmentation en raison de la crise (près de 21 000 contre 15 000 en 2008), on constate que le poids relatif des redressements judiciaires diminue (81?% des procédures en 2009 vs 85?% en 2008) au profit de la sauvegarde et de la conciliation.


Instrumentalisation de la procédure

Le nouveau texte de loi, moins précis dans sa formulation, laisse de facto la place pour l’apparition de demandes plus ou moins bien fondées. Il appartient alors au tribunal de trancher : une décision lourde de conséquence dans un domaine du droit où chaque affaire créé un précédent. Ainsi, les discussions ont été intenses autour des deux arrêts rendus par la cour d’appel de Paris le 25 février 2010. Dans l’affaire Cœur Défense, le tribunal de commerce de Paris avait accordé en novembre 2008 l’ouverture d’une procédure de sauvegarde à la holding de la société opérationnelle exploitant les immeubles Cœur Défense. Pourtant, cette holding se trouvait au Luxembourg, et si la société opérationnelle connaissait des difficultés liées au remboursement de sa dette, celles-ci ne mettaient pas en péril la continuité de l’activité locative. Par l’arrêt qu’elle rend le 25 février, la cour d’appel de Paris annule la procédure de sauvegarde seize mois après son ouverture.
Dans l’affaire Mansford, qui concerne également une société propriétaire d’immeubles en location rencontrant des difficultés similaires à celles de Cœur Défense alors que l’activité locative ne se trouve pas en péril, la cour d’appel a refusé l’ouverture de la sauvegarde. Dans les deux cas, la cour estime insuffisants les problèmes rencontrés par les sociétés. Elle donne ainsi raison aux créanciers qui dénoncent une tentative d’instrumentalisation de la procédure, utilisée selon eux pour échapper aux garanties que leur avaient consenties les sociétés. Elle met également en garde contre les velléités d’utilisation abusive de la procédure, dans laquelle certains actionnaires voient la possibilité de se ménager une période de confort financier.


Harmoniser au niveau européen pour moins contourner

En revanche, la cour d’appel ne ferme pas la porte aux sociétés holding en tant que telles, pourvu que celles-ci dépendent du droit français et démontrent des difficultés de nature à menacer leur propre activité. Une harmonisation des législations, au moins au niveau européen, serait souhaitable pour éviter l’appel d'air juridique créé par les différences nationales. En effet, comme le rappelle Christian de Baecque, le président du tribunal de commerce de Paris : «?À l’heure actuelle, on constate que les entreprises profitent des différences juridiques et font leur "forum shopping". Quoi qu’on en dise, l’espace européen est un espace concurrentiel : on le constate au niveau social, fiscal, mais également juridique.?» À titre d’exemple, citons l’invention par les professionnels du LBO de la luxpack. Ce montage financier consiste dans la création d’une société de détention au Luxembourg. Un pays dont la juridiction n’empêchera pas les créanciers, en cas de difficulté de la société opérationnelle, d’exercer leur garantie sur les actifs ou les titres.
Et pourtant… dans l’affaire Cœur Défense, l’extension de la procédure de sauvegarde de la société opérationnelle française à la holding étrangère, même si elle a été annulée par la suite, effraye les prêteurs. Comble du raffinement et pour augmenter encore la sécurité de leurs garanties, ils inventent alors la double luxco. Il s’agit cette fois-ci de placer une seconde holding de détention luxembourgeoise au-dessus de la première. Ainsi, dans le rachat par BC Partners à Axa Private Equity de Spotless Group, le leader des produits d’entretien, c’est cette structure qui a été utilisée pour contourner la loi de sauvegarde (cf. Décideurs n°117 – Juin 2010).
Nécessaire, le chantier de l’harmonisation s’avère ardu. Les différences de pratiques juridiques, mais plus fondamentalement les différences de points de vue entre les pays, rendraient plus facile la création d’un système entièrement nouveau que la mise au diapason des législations existantes.
 

Plus de poids aux prêteurs dans les négociations ?

Amélioration certaine du droit des entreprises en difficulté, la loi de sauvegarde montre également ses limites au fur et à mesure que se succèdent les affaires. Dans ces conditions, il y a fort à parier que le texte connaîtra des aménagements dans les années à venir.
Pourquoi ne pas envisager pour commencer un rééquilibrage des forces entres créanciers et actionnaires. Le droit français favorise la continuité de la société et la préservation de l’emploi.

Favorable à l’entreprise en tant que «?personne sociale?», elle fait passer les intérêts et l’opinion des créanciers au second plan. Pour cette raison, ceux-ci sont généralement hostiles à la procédure de sauvegarde et susceptibles de contester les plans proposés. Une hostilité qui pourrait être surmontée en accordant aux prêteurs plus de poids dans les négociations.
Poussée plus loin, cette logique pourrait également conduire à établir une différence de traitement en fonction de la seniorité des créances, c'est-à-dire des privilèges et risques qui y sont attachés. Jusqu’à récemment, les créanciers appelés dans le cadre d’une procédure de sauvegarde à se prononcer sur un plan de restructuration, avaient toujours voté sur un pied d’égalité. En décembre 2009, dans le cadre de la restructuration de Technicolor, le poids d’une classe de porteurs de titres a pour la première fois été diminué en raison du caractère très junior de leur créance (des TSS, ou titres supersubordonnés). Ce traitement, qui n’était pas prévu par la loi, est apparu fondé en raison et pourrait avoir vocation à se généraliser.

Afin de faciliter les restructurations, il serait également utile de mettre en place des moyens d’accès au financement pour les sociétés en difficulté. De ce point de vue, le droit américain est une vraie source d’inspiration : le financement Dip («?Debtor in possession financing?») par exemple, constitue un exemple de prêt au caractère très senior consenti à des sociétés en difficulté. Le droit français pourrait également imaginer des crédits sécurisés qui permettraient aux entreprises en restructuration d’accéder aux liquidités indispensables à leur rétablissement.

Nombre d’autres idées pourraient être creusées, mais toutes poursuivent le même objectif : remettre en place une dynamique juridique et financière dans une situation en apparence bloquée.