Jean-Marc Fédida*, avocat au barreau de Paris.

Jean-Marc Fédida*, avocat au barreau de Paris.
*également ancien secrétaire de la Conférence et auteur de L'Horreur sécuritaire : Les Trente Honteuses, Privé, en 2006.

Décideurs. Les critères de placement en garde à vue vous paraissent-ils transparents ?

Jean-Marc Fédida.
Les textes donnent à l’officier de police judiciaire un entier pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de la décision de placer ou non un individu en garde à vue. Cette liberté parfois donnée à des fonctionnaires inexpérimentés ne fait en pratique l’objet d’aucun contrôle, les juridictions ayant très largement abdiquées leur pouvoir de contrôle. Le pouvoir des officiers de police judiciaire est de fait illimité. Son étendue ne peut que choquer et le texte doit être réformé afin de contrôler la légitimité de son exercice.

Décideurs. Que pensez-vous de la réforme envisagée par la garde des Sceaux ?

J.-M. F.
Ce sont des aménagements visant à corriger les défauts de l’arbitraire et de la gratuité de certains placements en garde à vue. Ils sont toutefois très insuffisants pour garantir la conformité de notre législation avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’Homme, notamment celle résultant de l’arrêt du 27 novembre 2008 qui exige que la personne poursuivie soit en mesure d’être assistée par un avocat pendant toute la garde à vue. Le principe d’égalité des armes ne doit souffrir d’aucune exception.


Décideurs. Le dispositif de garde à vue était initialement destiné à garantir les droits qui l’accompagnent. Comment cette évolution de la perception du public a-t-elle pu avoir lieu ?

J.-M. F.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que, parce qu’il s’accompagnait de la notification du droit de rencontrer un avocat, un médecin et de faire prévenir un membre de la famille, le placement en garde à vue garantissait les libertés individuelles. De telle sorte que toute personne interrogée hors de ce cadre était fondée à s’en plaindre… Cela tient évidemment de la magie rhétorique que de faire admettre qu’une mesure privative de liberté dans des locaux insalubres, avec des mesures de fouille humiliantes, constitue une sauvegarde de la liberté individuelle.


Décideurs. De nombreux intervenants réclament la présence d’un avocat pendant toute la durée de la garde à vue. Financièrement, le dispositif de l’aide juridictionnelle peut-il le supporter ?

J.-M. F.
Il doit être juridiquement possible d’assister un client à tous les stades de la procédure. Le coût de cette assistance pourra, comme c’est déjà le cas, soit être réglé par la personne qui y est confrontée, soit mutualisé au moyen de contrats d’assurance. Toutes les grandes compagnies le prévoient. Ou bien l’aide juridictionnelle devra pourvoir à la rémunération des avocats des plus démunis dans des conditions honorables. La commission Darrois (rapport sur les professions du droit) prévoyait que la solidarité de la profession devait pouvoir être requise.


Décideurs. Faites-vous un lien entre le projet de réforme du dispositif de garde à vue et de suppression du juge d’instruction ?

J.-M. F.
Oui. Ils participent tous deux du mouvement qui consiste à judiciariser l’enquête policière en permettant aux acteurs judiciaires d’avoir un accès direct aux enquêteurs. L’avenir dira s’il tient ses promesses d’efficacité ou est source de désordre.


Décideurs. Pensez-vous que ces questions entourant le système judiciaire sont susceptibles de porter atteinte à l’image de la justice en France ?

J.-M. F.
L’opinion publique a raison de se préoccuper de la façon dont la justice est rendue en son nom. La multiplication des expériences d’humiliation commises dans le cadre des gardes à vue survenues lors d’infraction aux règles de la circulation a sensibilisé l’opinion publique sur ces procédés archaïques.
Si cette émotion va dans le sens de l’amélioration des libertés publiques, alors il sera possible de considérer que l’imbécilité de la systématisation de la garde à vue aura… finalement servi les libertés publiques.