À force de snack content en ligne, les visites culturelles appartiennent-elles au passé ? Jacques de Tarragon, directeur de l’Atelier des Lumières où les toiles de maîtres renommés sont projetées en digital, explique combien la culture relève de l’habitude.

Comment a germé l’idée de l’Atelier des Lumières ?

L’aventure commence avec l’entreprise Culturespaces qui, depuis plus de trente ans, a tout mis en œuvre pour partager la culture avec le plus grand nombre. Reconnue pour sa gestion de sites touristiques et culturels et autres centres d’art, elle acquiert en 2012 le lieu historique des Carrières des Lumières en Provence. Un site millénaire d’extraction de pierre qui accueille des expositions numériques consacrées aux grands maîtres de l’histoire de l’art.

Fort de ce succès, Culturespaces trouve un lieu parisien qui, non seulement, fait partie du patrimoine français mais aussi se prête à des projections : une ancienne fonderie du XIXe siècle. Les murs de 10 mètres de haut offrent la possibilité de créer des événements en immersion. Les premières expositions, dont une consacrée à  Van Gogh, ont dépassé nos attentes. Elle a accueilli plus de 1,3 million de visiteurs dès la première année. Et ce, avant la pandémie.

Ce type d’expérience immersive diffère de la visite de musée. Selon vous, quel est l’enjeu du format ?

Culturespaces, qui gère également des musées tels que Jacquemart-André et l’Hôtel de Caumont, est arrivé au constat suivant : 70% des Français ne vont pas dans les musées. Le digital est un biais facilité pour susciter un premier intérêt. Découvrir Cézanne ou Dali à l’Atelier des lumières est plus simple. La "barrière" est plus facile à franchir, surtout pour les enfants. Les visiteurs viennent découvrir une exposition numérique, plutôt que l’artiste.

"Les visiteurs viennent découvrir une exposition numérique, plutôt que l’artiste"

Ce n’est qu’après la découverte que  peut s’amorcer un intérêt plus prononcé pour l’artiste. Pour nous, il est gratifiant de constituer le point de départ entre un artiste et le public. Raison pour laquelle nous proposons deux expositions sur différentes temporalités. Cette année, nous avons retenu Chagall pour notre exposition longue durée, ainsi que Yves Klein pour la plus courte des deux. Nous nous attachons à ce que le travail des artistes soit contrasté et dépasse les idées préconçues du public.

Selon vous, le numérique va-t-il reléguer les œuvres originales au placard ?

Non. Il faut que l’art original perdure. Les jeux de matière et la toile constituent une expérience en soi. Imaginer que dans cinquante ans, on mettra les tableaux de Klimt et Chagall dans une cave est un crime. Mais pour la jeune génération, née à l’ère du digital, cette dimension doit devenir de plus en plus importante.

Le digital est le mode d’expression. Il va prendre de la place et d’autres dimensions, sans pour autant remplacer la vision première et le relief des œuvres. De jeunes artistes, tels que des motion designers créent des expositions uniquement par ordinateur, ou encore des festivals d’art immersif. Ces projets très prometteurs, parmi lesquels les œuvres "digital native", contribuent également à soutenir ou à développer un attrait pour l’art. Dans vingt ans, le numérique prendra davantage de place, sans voir décroître le nombre de visites au musée.

"Dans vingt ans, le numérique prendra davantage de place, sans voir décroître le nombre de visites au musée"

Outre les outils de marketing et de communication, l’art digital conduira-t-il à porter plus d’intérêt pour l’art traditionnel ?

Le digital est un biais de médiation fascinant, complémentaire aux œuvres traditionnelles. L’interactivité, même si elle est un peu balbutiante, rend le contenu plus ludique. À Versailles, par exemple, s’organisent des projections des différentes étapes de la construction du château. Le digital permet d’imaginer un résultat précis et apporte un rythme. Ces déclinaisons séduisent les visiteurs.

Au sein du studio de création et des équipes audiovisuelles, il nous incombe de tenir les gens en haleine. Des visiteurs friands d’un thème tel que l’astronomie pourront visiter une expo immersive, et développer un intérêt pour l’espace lui-même. Dans ce cadre, ils seront plus enclins à revenir voir la programmation sur de grands peintres par exemple.

Vos expositions attirent les familles, notamment de nombreux enfants. Est-ce une volonté de l’Atelier ?

La dissémination de la culture au plus grand nombre passe, entre autres, par l’idée de dégrossir la connaissance du monde artistique. Avec le renfort du numérique, c’est d’autant plus simple. Les musées créent de plus en plus de petites salles immersives pour faire de la pédagogie.

"Désacraliser l’art permet de fidéliser un plus grand public"

Désacraliser l’art permet de fidéliser un plus grand public. L’enjeu est de permettre à toutes les catégories socio-professionnelles de venir. La Fondation Culturespaces, créée en 2009, s’est donné pour mission l'inclusion sociale par la culture. L’objectif est d’accueillir quinze mille enfants, dont la plupart vivent éloignés de la culture, sur nos sites. On force un peu le destin.

Sensibiliser à l’art se fait très tôt. Quand bien même on attire l’attention des enfants sur un sujet éloigné du monde de l’art, il s’agit de créer une habitude. Plus tôt on fait naître cet affect pour la culture, plus il y aura de visiteurs dans les années à venir.

Alexandra Bui

crédit photo : ©realpotman

Décideurs Magazine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jacques de Tarragon, directeur de l’Atelier des Lumières