La PI quitte la direction juridique de l’entreprise pour s’installer à l’étage de la direction générale
Décideurs. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la profession de conseil en propriété industrielle ?

Didier Boulinguiez
. Les associés du Cabinet Plasseraud n’ont jamais dissimulé leur soutien au projet de fusion des métiers de CPI et d’avocat. Nous regrettons l’abandon de cette réforme qui, pour l’avenir, aurait certainement contribué à renforcer la compétitivité des professionnels français de la propriété intellectuelle face à leurs concurrents, allemands notamment. Mais nous nous félicitons de pouvoir ainsi continuer à travailler avec nos confrères avocats, tout particulièrement en matière de brevets. Et cela ne remet pas en cause les projets de développement du cabinet, tant à l’étranger, avec les bureaux de Prague et de Shanghai, qu’en France, où nous avons lancé récemment avec succès des activités à Lille et à Toulouse.

Albert Hassine. Au-delà de cette couverture géographique, nous entendons renforcer notre activité marques, dessins et modèles. C’est la raison pour laquelle, à l’instar de certains confrères, nous lancerons prochainement un cabinet d’avocats estampillé Plasseraud, mais exclusivement limité aux activités hors brevets.

Décideurs. Le rôle de la propriété intellectuelle au sein de l’entreprise a-t-il évolué au cours des dernières années ?

A. H.
Plus qu’une évolution, il s’agit selon moi d’une véritable révolution. La PI quitte progressivement la direction juridique de l’entreprise pour s’installer à l’étage de la direction générale. Ce glissement se vérifie notamment dans le secteur des télécommunications. L’ampleur des investissements consentis au cours des dix dernières années par les géants de cette industrie n’est pas dépourvue de conséquences. Sur le terrain judiciaire, d’abord, avec la guerre mondiale que se livrent certains opérateurs (Samsung et Apple, ndlr), en termes financiers ensuite, à travers la course aux normes.

Décideurs. Cela participe-t-il d’une financiarisation progressive de la propriété intellectuelle ?

D. B.
Le volet financier de la propriété intellectuelle recouvre une réalité à plusieurs visages. Les normes évoquées par Albert permettent aux titulaires de droits de bénéficier d’un retour sur les investissements réalisés. Dans ce cas précis, on parle d’ailleurs de licences Frand, pour fair-reasonable and non-discriminatory (juste, raisonnable et non-discriminatoire, ndlr). En revanche, ces titulaires ne peuvent bloquer l’accès de leurs concurrents à ces technologies essentielles.
En marge de cette activité licensing qui est aujourd’hui au cœur de la stratégie des géants de l’innovation, les brevets font effectivement l’objet de la convoitise de certains opérateurs animés par des motivations exclusivement financières.

Décideurs. Vous faites référence aux patent trolls ?

A. H.
Ces derniers ont en effet défrayé la chronique au cours des dernières années. Leur pouvoir de nuisance s’est cependant estompé. Face à leur agressivité, les industriels ont rapidement réagi avec une stratégie PI renforcée, en amont lors du dépôt, et en aval lors de la valorisation de leurs portefeuilles, grâce à un lien permanent avec les équipes de R&D.

D. B. Au-delà, on assiste à des évolutions intéressantes comme par exemple la création de France Brevets, un fonds d’investissement soutenu à parité par l’État et la Caisse des dépôts et consignations, dédié à la détention de titres de PI et positionné aujourd’hui comme un partenaire des PME à la recherche de solutions de protection et de valorisation de leurs innovations à l’abri des « prédateurs », français ou étrangers. Une réalité qui devrait placer la propriété intellectuelle au cœur des débats actuels sur la relance et la croissance.