S’il existe depuis longtemps, le crowdsourcing est aujourd’hui passé à la vitesse supérieure avec les nouvelles technologies. Quand l’innovation appelle à une réorganisation, et vice-versa.
L’idée de faire appel à des suggestions auprès du grand public n’est pas nouvelle. Les empereurs chinois pratiquaient déjà auprès des artisans de l’empire le crowdsourcing, mot à la mode désignant l’art de sonder les foules. Depuis la révolution industrielle, les entreprises consultent leurs forces vives internes pour améliorer leurs process via, notamment, la boite à idées. Ces principes sont à présent bien installés dans l’industrie comme dans les services. Alors pourquoi parler encore d’innovation collaborative ? Après tout, comme le souligne Marc Giget, président du Club des directeurs de l’innovation : « On n’a jamais connu d’innovation fermée. »

Innovation participative, boîte à idées 2.0
Les nouvelles technologies de l’information ont la vertu de connecter des communautés, jusque-là relativement cloisonnées, dans une relation sans frontières, immédiate et instantanée. Pour l’entreprise tout se passe d’abord en interne. Les processus d’innovation participative impliquent, au-delà du département de R&D, le marketing, les ressources humaines ou encore les achats. « Les services internes, auparavant cloisonnés, entrent en communication sur de nouveaux sujets » témoigne Pierre Breesé, président de Fidal Innovation.

« L’entreprise innovante, ce n’est pas uniquement la R&D, renchérit Muriel Garcia, présidente de l’association Innov’acteurs. L’innovation participative est un enjeu de fait pour l’entreprise : portée il y a quelques années par la R&D, elle s’apparente depuis deux ans à une démarche globale émanant du salarié.» Pas question d’ailleurs de solliciter les employés pour ne pas faire usage des propositions, l’effet déceptif serait proportionnel à l’enthousiasme provoqué par l’ouverture de la consultation. « L’innovation émanant des salariés est une véritable lame de fond. Les connexions qui traversent l’entreprise la font entrer dans un système de management horizontal, elles favorisent l’optimisation de l’intelligence collective » et donc l’innovation, conclut Isabelle Denervaud, associée chez Bearing Point.

Foule élargie
De fait, en interne comme en externe, les nouvelles technologies élargissent le spectre de personnes consultables pour développer une idée ou tester un concept de manière inégalée… « Les outils d’aujourd’hui permettent d’aller plus loin, ils sont plus puissants, plus rapides, plus universels », ajoute Marc Giget.
Les processus d’innovation évoluent, sur le modèle de l’industrie pharmaceutique. Celle-ci, menacée dans son fonctionnement par la concurrence des génériques, ne peut plus se contenter de ses équipes de R&D internes pour identifier l’innovation future. Le business model même change : « D’une innovation interne, on passe à une innovation qui est, au moins pour moitié, sourcée à l’extérieur, par exemple auprès de start-up, ou repose sur des partenariats externes », témoigne Gilles Toulemonde, président d’Inova Software. Ceci change fondamentalement la démarche de recherche : le chercheur devient prospecteur des technologies qui lui permettront de trouver une innovation substantielle.

Innovation-client
En parallèle, l’innovation-client se développe fortement. Les entreprises s’appuient sur les NTIC pour impliquer leurs clients dans leur recherche d’innovation et de nouveaux marchés. Lego propose ainsi depuis 2006 à ses clients de concevoir leur boîte de jeu en ligne et de la commander, Dell crée une plate-forme d’échange d’idées pour le grand public, etc. Pour Isabelle Denervaud, « au-delà d’une démarche marketing, on est face à l’apogée du conso’acteur : le client est co-créateur ». La tendance est forte et touche tous les acteurs. Boeing implique quatorze associations de passagers dans la conception de son Dreamliner, le cahier des charges de la prochaine Fiat Mio est issu de la participation de 17 000 personnes dans 160 pays, etc. Concerné, le client est motivé et les entreprises voient en lui un réel potentiel d’innovation : « Il s’agit d’un public averti, aux compétences professionnelles avérées, offrant des compétences de développement », ajoute Marc Giget.

Si l’open innovation représente une mine d’or, elle est aussi un défi et sa réussite implique certaines conditions. La rentabilité des projets n’est pas toujours au rendez-vous, en témoigne la fermeture du site DesignByMe de Lego en janvier 2012…

Captage, tri, priorisation
Les plates-formes de crowdsourcing offrant la possibilité de mettre en contact un chercheur de solution (seeker) avec une communauté de répondants (solvers) sont pléthore : Ninesigma, Quora ou Innocentive aux États-Unis, Presans, Eyeka ou Hypios en France. Et des petits nouveaux font leur apparition, à l’image d’Inventive, qui propose, depuis avril 2012, d’évaluer et accompagner les idées des particuliers, jusqu’ici non exploitées, à destination des PME et collectivités locales. Les acteurs offrant des solutions logicielles permettant la collecte et le tri des opportunités innovantes externes, ainsi que la leur intégration par acquisition de brevets ou licences, comme Inova Software, ont aussi le vent en poupe. Un marché amené à évoluer vers des solutions transverses et à se concentrer à terme.

Boycott
Si pour une marque l’appel à concours pour la conception d’un nouveau logo via une plate-forme réunissant des milliers de designers du monde entier offre bien des avantages, le jeu n’en vaudrait pas toujours la chandelle pour les contributeurs. Il leur faut investir au moins 5 % du gain escompté pour proposer un projet ayant des chances de sortir du lot, que la compétition, très ouverte, dilue complètement. Le mouvement No!Spec, dénonçant ce travail spéculatif, appelle au boycott des plateformes qui ne proposent pas un partage de valeur à la hauteur du travail et de l’investissement fournis. Relativement suivi, il menace la pérennité de telles plates-formes : sans répondants, leur intérêt est nul.

Les solutions qui sortiront du lot à long terme seront celles offrant une structure sérieuse, filtrant demandes et réponses, analysant la compétence du solver, qui rémunèrent équitablement le travail fourni, et apportent une plus-value dans le tri de l’information.



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