Chief Digital et Marketing Officer du groupe L’Oréal, Asmita Dubey porte, en tant que membre du comité exécutif, les enjeux de transformation digitale au plus haut niveau du groupe. Elle défend une vision du digital au service des relations directes avec les consommateurs. Et encourage l’innovation de rupture, à travers l’IA et la réalité augmentée.

Décideurs. Vous avez débuté votre carrière dans le secteur de la publicité, après une formation en économie et en statistiques. Qu'est-ce qui vous a conduit jusqu’au numérique ? 

Asmita Dubey. En effet, j'ai eu l'opportunité de travailler d'abord dans le monde de la publicité, tant en Inde qu'en Chine, pour certaines des plus grandes marques, sur des campagnes mondiales. J'ai ensuite rejoint L'Oréal en 2013, en tant que Chief Marketing Officer en Chine, où nous posions alors les bases de l'accélération du e-commerce du groupe sur ce marché, avant de rejoindre Paris en 2017 et de prendre la direction générale du digital et du marketing en avril 2021. Mais ce sont surtout les 12 années de ma vie professionnelle en Chine, où j'ai eu l'occasion d’observer la modernisation et la digitalisation du pays, qui m'ont poussé vers le numérique, que je trouve captivant et toujours en mouvement.  

Face à cette vision justement d'une Asie dominante sur le digital, quel regard posez-vous sur la France ? 

La révolution numérique française est en bonne voie. Le e-commerce est en plein essor. Il représente désormais 17 % des ventes dans le secteur de la beauté contre 12 % en 2019. Je note aussi quelques particularités et tendances intéressantes sur ce marché. Tout d'abord, la digitalisation impacte de façon massive toutes les tranches d'âge, même les seniors sont devenus très friands des nouvelles technologies, aussi pour des raisons de sécurité face à la Covid. Une autre particularité en France est la fragmentation des canaux de distribution. Il y a des centaines d'acteurs. Certains sont spécialisés (acteurs de la e-santé, acteurs du capillaire, etc.), d’autres se positionnent sur le drive, qui est une spécificité très nationale. Il existe aussi des marques direct-to-consumer (D2C), des e-retailers, des pure players, et des outlet players comme Veepee et Showroomprivé. 

Comment s’est opérée la mutation numérique de L’Oréal, dans un secteur de la beauté, à première vue plutôt traditionnel  ? 

Pour nous, beauté et numérique se marient parfaitement. La beauté est visuelle, sociale, personnelle… Elle correspond naturellement aux contenus des plateformes numériques. Elle est d’ailleurs l'une des catégories les plus recherchées en ligne avec 4 milliards de requêtes Google par an. Les produits cosmétiques sont aussi très présents sur les plateformes de e-commerce, comme Amazon et Tmall. Notre mutation numérique vers une entreprise Beauty Tech a débuté en 2010, sous l’impulsion de notre ancien PDG, Jean-Paul Agon, qui avait déclaré une année numérique chez L'Oréal. Tout au long ensuite de la dernière décennie, nous sommes passés d'une publicité traditionnellement forte à un marketing de contenu, d'influenceurs et de plaidoyer.

"La beauté est l'une des catégories les plus recherchées en ligne avec 4 milliards de requêtes Google par an"

Nous avons numérisé notre chaîne de valeur, en commençant par la recherche, pour inspirer et guider nos chercheurs dans la fabrication de meilleurs produits, puis le commerce électronique, qui est devenu très vite un puissant moteur de croissance. Nous avons adopté des technologies telles que la réalité augmentée et l’intelligence artificielle (IA), afin d'imaginer de nouveaux services, tels que des essais virtuels de maquillage, de soins capillaires, des diagnostics personnalisés de la peau, des cheveux et des téléconsultations. 

Quelles sont les technologies clés qui portent cette vision numérique de L'Oréal ? 

Les diagnostics de la peau, très populaires auprès de nos clients du monde entier, se basent sur l’IA, dont l'algorithme analyse 16 problèmes de peau (sécheresse, peau sensible, acné...). Les femmes reçoivent ainsi une analyse personnalisée du vieillissement de leur peau, de ses points forts et des priorités sur lesquelles agir, ainsi qu'une routine de produits sur mesure pour répondre spécifiquement à ce diagnostic. Cette technologie, disponible dans 56 pays, a fait l’objet de neuf brevets et six publications scientifiques. Nous sommes également convaincus que la personnalisation est l'avenir de la beauté. C'est pourquoi nous avons inventé le Rouge Sur Mesure Yves Saint Laurent Powered by Perso, un appareil à domicile alimenté par l'IA qui permet à l'utilisateur de créer des milliers de nuances de la Crème Velours Mat YSL en utilisant l'application correspondante. Grâce à un système breveté de cartouches motorisées, Perso crée une couleur de lèvres personnalisée en toute simplicité, en seulement deux minutes. Présentée pour la première fois au CES Las Vegas 2021, cette innovation révolutionnaire a été lancée en septembre 2021. 

Quel a été l’impact de la pandémie sur les activités digitales du groupe ? 

L'Oréal est une véritable entreprise digital-first qui entre dans une nouvelle phase de sa transformation numérique, sans doute impactée par la pandémie. La crise a en effet profondément accéléré la transformation digitale du secteur de la beauté. Dans l’e-commerce par exemple, L'Oréal a réalisé en quelques semaines ce qui aurait nécessité auparavant trois ans de travail ! Et nous sommes convaincus que les nouveaux comportements de consommation perdureront après la pandémie. Il existe en outre un énorme potentiel de croissance, porté par l'essor de la consommation de contenus numériques (gaming, streaming vidéo et audio, objets connectés...).  Quelle est la prochaine étape ? Le numérique va continuer à façonner l'avenir de notre industrie : nos objectifs sont de réaliser jusqu'à 50 % de l'activité de L'Oréal via des canaux en ligne. Cela implique une nouvelle évolution de nos moteurs de croissance, car il y aura davantage d'activité humaine et d'interactions entre L'Oréal et les consommateurs en ligne. L'industrie de la beauté change radicalement, elle sera guidée à l’avenir par les données, les services et les relations directes avec les consommateurs. 

Propos recueillis par Fabien Nizon