Dans l’univers du luxe mondial il y a les marques de luxe, tendance et fluctuantes. Et puis il y a Hermès : la marque de légende aux pièces culte et aux fondamentaux immuables, emblème d’un savoir-faire d’exception et d’une élégance sans faille ; « ultime symbole du luxe à la française », statutaire et intemporel.

Le carré, le Kelly, le Birkin mais aussi, la couleur orange et les coutures piquées, le motif calèche et la maille étrier… Inutile d’avoir déjà franchi les portes de la célèbre maison du 24, rue du Faubourg Saint-Honoré pour en connaître les classiques et en saisir les codes. Au-delà du succès de ses produits, de sa renommée mondiale et de son entrée récente au CAC40, la puissance d’Hermès tient à cela. Au fait qu’en 170 ans d’existence la marque ait su se doter d’un ­univers à la force d’évocation incomparable ; si profondément ancré dans l’inconscient collectif qu’il en devient spontanément identifiable par un public qui dépasse de beaucoup celui de ses seuls clients. D’où sa place à part dans l’univers du luxe et son statut de référence. Celle d’un certain luxe à la ­française, sobre et intemporel, ­évocateur d’un artisanat ­d’excellence, de transmission et
de savoir-faire.

Marque de fabrique

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Un savoir-faire qui s’enracine dans celui d’un homme, Thierry Hermès, qui, en 1837, ouvre place de la Madeleine une manufacture de selles et de harnais qui, rapidement, se taille une réputation de qualité avant que la médaille « première classe » obtenue lors de l’Exposition universelle de 1867 la propulse officiellement dans la catégorie haut de gamme. Très haut de gamme même, lorsque les têtes ­couronnées d’Europe commencent à s’y ­approvisionner. « C’est comme cela que tout a commencé, explique Julie El Ghouzzi, directrice du Centre du luxe et de la création ; dans l’artisanat et dans l’univers du cheval, deux racines extrêmement fortes de la marque. » Une source d’inspiration dans laquelle, près de deux siècles après sa création, Hermès continue à puiser, multipliant les références à son territoire d’origine et déclinant le thème de l’équitation dans tous ses univers : le parfum baptisé Calèche, les dessins de chevaux sur les carrés de soie, le cadran de montre évoquant un étrier et la maille joaillière inspirée d’un mors… De quoi faire des origines de l’entreprise non seulement une marque de fabrique mais un ­vecteur de différenciation sur lequel, dès l’arrivée de la seconde génération au pouvoir, en 1859, Hermès va capitaliser. D’abord pour prendre pied sur le marché de la maroquinerie avec une série de sacs et sacoches destinés aux cavaliers puis, à la veille de la Première Guerre mondiale, pour s’émanciper de cette cible historique avec une ligne de malles et bagages moins volumineux et plus féminins.

Produits cultes

« La première ébauche de diversification a lieu aux alentours de 1900 avec la commercialisation de sacs adaptés progressivement du nécessaire d’équitation au sac de voyage puis au sac pour dame », raconte Julie El Ghouzzi. Le mouvement amorcé se confirme dans les années 1930. « Lorsque la génération de Robert Dumas – gendre du petit-fils du fondateur – transpose ce savoir-faire à d’autres univers. » Ceux de la parfumerie, du prêt-à-porter, de l’horlogerie, des arts de la table… Un élargissement de l’offre qui s’accompagne, sur cette période, de plusieurs lancements de produits cultes, parmi lesquels le carré – ce foulard de soie devenu iconique – en 1937, l’Eau d’Hermès quinze ans plus tard et, surtout, le sac Kelly, modèle de légende créé originellement pour les cavaliers par le fondateur lui-même et baptisé sac « Haut à courroies », puis revisité plusieurs décennies plus tard pour aboutir à la version actuelle que la princesse de Monaco transformera en produit culte en l’arborant à la fin des années 1950 aux côtés du prince Rainier. L’effet est immédiat. Les ventes s’envolent et le sac, bientôt rebaptisé « Kelly », devient un succès mondial dont les ventes représentent aujourd’hui encore avec le Birkin – autre modèle star de la marque – plus d’un tiers des ventes en volume d’Hermès.

« Savoir-faire manufacturier »

Une réalité commerciale qui, pour Véronique Varlin, directrice de l’Obsoco – cabinet d’études et de conseil spécialisé dans l’univers de la consommation –, illustre à elle seule l’efficacité du modèle ­Hermès, cette marque aux ­fondamentaux immuables dont la puissance repose sur un héritage artisanal unique. « Dans ce culte du savoir-faire ­manufacturier, constant dans la qualité et la sobriété, résume-t-elle ; dans l’expression d’un artisanat porté à son plus haut niveau. »

Un socle hérité des origines et rigoureusement entretenu au fil des époques, des générations de dirigeants et des stratégies de diversification qui aura permis à Hermès d’élargir progressivement le territoire de sa marque sans rompre avec son ADN. Celui d’un luxe sobre et de bon ton, ancré dans le temps long et la transmission, aux antipodes des tentations bling-bling et du diktat des cycles courts… Ce vrai luxe, statutaire et intemporel, dont Hermès est aujourd’hui l’emblème et qui, poursuit Véronique Varlin, tient avant tout au niveau d’exigence qui caractérise la marque depuis toujours. « Chez Hermès, la dimension artisanale est visible et c’est elle qui donne sa véritable valeur au produit, qui en justifie le prix et le positionnement ultra-luxe, explique-t-elle. Ici, le produit raconte quelque chose : une tradition, une prouesse de conception qui font de chaque création un objet d’exception. » Contrairement à certaines marques de luxe, l’essentiel de la valeur ne réside pas dans son « immatériel », cet ensemble de codes et de valeurs qui la définissent, mais dans l’importance accordée à l’exécution. « Dans le fait qu’il y a, dans chaque objet, une perfection résultant d’un savoir-faire sans pareil », confirme Julie El Ghouzzi.

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Temps long

Ingrédient clé de cette recette à succès : le rapport au temps. Pas celui des modes ni des cycles, mais celui qui dure et qui ancre et dont Hermès a fait, là encore, un ­vecteur de différenciation. « Tout produit ­Hermès, et particulièrement les sacs qui durent et se transmettent, revêt une valeur patrimoniale, insiste Véronique Varlin pour qui ce rapport au temps long place la marque « sur un marché à part ». Tellement à part qu’il l’exonère de toute véritable stratégie ­marketing. « Hermès n’a pas besoin de cela, poursuit-elle. Le produit suffit à susciter l’envie. » Au point, pour certains, de valoir plus cher vintage que neufs. Preuve que, 24 rue du Faubourg Saint-Honoré, le temps long constitue un véritable atout, identifié et valorisé. Le signe d’une attention portée à la qualité qui, selon Julie El Ghouzzi, n’existe nulle part ailleurs. « C’est long de faire un sac Hermès, rappelle-t-elle. Il y a dans ce temps accordé au produit non pas une politique de la rareté mais une fierté d’artisan. » Une exigence et une rigueur qui, confirme l’experte, font ­d’Hermès « le symbole ultime du luxe à la française ainsi qu’un emblème de reconnaissance sociale ». Raison pour laquelle élargir la cible ne saurait passer par une quelconque forme de démocratisation mais « par le fait de savoir parler à toutes les générations », explique-t-elle. D’où le choix de designers à la réputation disruptive tels que Martin Margiela et Jean-Paul Gaultier… « Une audace qui prouve qu’il est possible de casser les codes de la marque, pas de les rendre accessibles à tous, conclut-elle. Ce n’est pas sa vocation. » Même lorsque, sous l’impulsion de Jean-Louis Dumas, arrivé aux commandes dans les années 1970, l’entreprise se transforme en groupe mondial, qu’en 2010 elle attaque le marché chinois avec une marque dédiée, Shang Xia, et que, il y a quelques mois, elle fait son entrée au CAC 40. Pour la directrice du Centre du luxe, cela ne change rien à ce qu’est Hermès – « une maison bien gérée en perpétuelle croissance » – et à ce qu’elle incarne : « La plus luxe de toutes les marques de luxe parce qu’elle n’a jamais fait d’erreur. » Et qu’elle préfère, depuis toujours, le temps qui dure aux modes qui passent.

 

Caroline Castets

 

Légendes :

Hermès incarne un luxe sobre et de bon ton, ancré dans le temps long et la transmission. Aux antipodes des tentations bling-bling et des modes qui passent.

 

L’univers du cheval : une source d’inspiration dans laquelle Hermès puise depuis près de deux siècles.

 

Le sac Kelly, produit culte arboré par la princesse de Monaco à la fin des années 1950, dont les ventes représentent aujourd’hui encore avec le Birkin – autre modèle star de la marque – plus d’un tiers des ventes en volume.