Jugée indispensable par certains, injuste par d’autres, la réforme des retraites, présentée le 10 janvier 2023 par Élisabeth Borne, pose la problématique de l’emploi des seniors en France. Où en est-on au juste ?

Le passage progressif de 62 à 64 ans annoncé lors de la réforme des retraites devrait permettre d’améliorer le maintien de l’emploi des seniors. Les reculs successifs de l’âge légal de départ à la retraite ont permis une augmentation croissante du taux d’emploi des seniors, estimée actuellement à 56,1 % selon la Dares. Toutefois, parallèlement à cette augmentation, le taux de chômage de ces derniers n’a également cessé d’augmenter. Selon cette même étude, le taux de chômage des 55-64 ans est ainsi passé de 4,2% en 2003 à 5,9 % en 2020 et les chômeurs seniors restent plus longtemps sans activité après 55 ans (771 jours en moyenne) que le reste des demandeurs d’emploi (349 jours environ). Le maintien des seniors dans l’emploi n’est donc pas la seule donnée à prendre en compte, la barrière de l’âge restant présente lorsqu’il s’agit de rentrer sur le secteur de l'emploi ou d’entamer une reconversion professionnelle.

Un sujet trop longtemps ignoré

L’âge est reconnu comme l’un des premiers facteurs de discrimination à l’emploi. Selon les résultats de novembre 2006 du baromètre établi par l’Observatoire des discriminations, un candidat âgé de 48 à 50 ans a trois fois moins de chances que le candidat de référence d’obtenir un entretien d’embauche. Dès 45 ans, les risques de se voir refuser un poste augmentent considérablement. D’ailleurs, au cours des différentes politiques visant à réduire les discriminations à l’emploi, le sujet des seniors semble avoir été relayé au second plan. Marc Gosselin, ex-DRH du groupe Arkea, note volontiers qu’au sein des entreprises la question des seniors n’est pas abordée comme une politique mais relève encore du cas par cas, voire reste une variable d’ajustement : "En matière de lutte contre les discriminations, nous avons avancé comme sur différents couloirs de nage : la parité, la place des handicapés et celle des juniors. À présent, il est temps de s’attaquer à la problématique des seniors. Cela est urgent car il faudra du temps afin de revaloriser leur place dans l’entreprise."

Index senior

L’une des mesures proposées par le gouvernement, en vue de réduire les discriminations et inciter les entreprises à maintenir en poste et à recruter davantage de seniors, est l’instauration de l’index senior. À l’image de l’index mis en place par la loi Rixain en matière de parité, l’index senior permettra de connaître le taux de "seniors" en poste dans une entreprise. Cette idée, initialement développée par l’ANDRH et revendiquée également par Franck Morel au sein de l’Institut Montaigne, permettrait de juger du niveau d’arbitrage d’une entreprise en matière de recrutement des seniors. S’il s’agit d’une mesure incitative, elle est jugée à elle seule comme insuffisante. Benoît Serres, vice-président de l’ANDRH indiquait le 15 janvier sur RMC que "si la politique pour l'emploi des seniors se limite à mettre en place un index, ça ne marchera pas. Il faut une vraie politique publique : des aides et des incitations à l'embauche". Marc Gosselin souligne également que cette politique fondée sur les quotas n’est pas pertinente car bien trop inscrite sur le court terme.

"Cette réforme [...] ne pourra être mise en place sans un travail sur l’emploi des seniors en faisant du "in" et non du "out", notamment si l'on tend vers le plein emploi"

Aménager le maintien des seniors en emploi

Pourtant, des dispositifs existent pour aménager l’emploi des seniors : retraite progressive, mécénat de compétences, pré-retraite… Le groupe de luxe Chanel a notamment mis en place un accord afin de "permettre aux salariés qui le souhaitent de partir en douceur à la retraite", selon les mots du délégué syndical groupe CFDT, Patrick Frochen. L’accord propose à tout salarié de plus de 58 ans un temps partiel avec des cotisations maintenues sur 100% du salaire. Si cet accord met en avant la volonté des entreprises à agir, il n’en reste pas moins qu’il s’agit souvent d’un aménagement qui vise à améliorer les fins de carrière mais n’incite pas les seniors à rester dans le secteur de l’emploi. Marc Gosselin indique justement que "ce sont des dispositifs tournés vers la sortie des seniors de l’emploi et non leur stabilité sur le marché de l’emploi. Cette réforme est indispensable et nécessite du courage. Toutefois, elle ne pourra être mise en place sans un travail sur l’emploi des seniors en faisant du "in" et non du "out", notamment si l’on tend vers le plein-emploi". Il évoque alors différents axes de travail réalisables : en finir avec les entretiens annuels qui, trop souvent, n’incitent pas à un management quotidien et laissent certaines situations se déliter, voire à placardiser ; revoir la notion de fixation des objectifs afin qu’ils soient davantage clairs et accompagnent la réussite des collaborateurs dans la performance ; renforcer la formation des managers, car manager un plus âgé que soi s’apprend ; revoir la notion de temps de travail et la quantifier non plus en jours, semaines, mois mais en annuités pour permettre des périodes de respiration pendant les carrières et, enfin, booster l’accompagnement des changements de carrière : "De nombreux seniors souhaitent se reconvertir vers des métiers qui leurs seraient moins pénibles physiquement ou intellectuellement. D’un côté, nous avons une population souhaitant se reconvertir, de l’autre une pénurie de talents. Nous devons travailler sur la façon de créer un flux entre les secteurs en tension et les seniors en demande de reconversion professionnelle."

Le rôle des entreprises

Changement de culture, nouveaux choix politiques… Quelle que soit la solution proposée, cela ne pourra s’opérer qu’avec l’engagement des entreprises. Marc Gosselin souligne d’ailleurs "le silence assourdissant du Medef " en la matière. Aux entreprises de s’emparer du sujet et mettre en avant l’employabilité des seniors, ces derniers étant trop souvent perçus comme peu agiles, plus à même de tomber malades ou encore pas assez formés aux nouvelles organisations ou méthodes de travail.  Parmi les mesures proposées par l’ex-DRH du groupe Arkea, celle de la refonte de la notion du temps de travail semble essentielle. Lors d’une table ronde animée par le cabinet d’outplacement individuel Dirigeants et Partenaires, Édouard Pinon, responsable droit et relations sociales chez Bosch, affirmait qu’"une forme de "care" doit se mettre en place avec peut-être un système de récompense après la gestion d’un lourd projet qui ne soit pas uniquement sous forme financière, mais aussi en termes de temps de repos. […] Accorder des moments de respiration aux dirigeants est essentiel". Trop souvent taboue, la fin de carrière n’est pas suffisamment évoquée entre collaborateurs et directions des ressources humaines, ou trop tardivement. La réflexion sur l’employabilité des seniors doit prendre place de façon active au sein des entreprises et nul doute qu’elle doit s’accompagner, comme l’évoque Marc Gosselin, d’une nouvelle façon de manager, davantage axée sur la complétude des savoirs.

L’emploi des seniors semble avoir été abordé ces dernières années comme une gestion de fin de carrière, davantage que comme une politique de recrutement et de maintien dans l’emploi des seniors. Cela ne permet ni aux entreprises de bénéficier de l’expertise des plus âgés, ni à ces derniers d’oser innover et "rebondir " vers des fins de carrière moins linéaires.

Elsa Guérin