Alors que la saison de la publication des résultats annuels s’ouvre, les investisseurs attendent avec impatience les bilans mais aussi, et surtout, les prévisions pour les mois qui viennent. À quelle sauce les marchés actions vont-ils être mangés en 2023 ? Petit tour d’horizon des thèmes à suivre selon Axelle Pinon, membre du comité d'investissement de Carmignac.

Décideurs. Quel bilan dressez-vous de 2022 ?

Axelle Pinon. D’un point de vue global, 2022 a été une année très difficile pour les marchés actions. Nous pensons que 2023 va être un peu plus stable car les investisseurs disposent d’une meilleure vision de l’action future des banques centrales. De quoi laisser un peu de respiration sur la partie valorisation des actions, sans pour autant revenir à des niveaux comme ceux qu’on a connus avant l’année dernière.

Que vont regarder les investisseurs ?

Les marchés vont se concentrer sur les bénéfices des entreprises et, pour être plus précis, sur la différence entre les bénéfices et leurs anticipations. Ces bénéfices vont être sous pression. En 2022, l’inflation a contribué à la croissance des entreprises. Elles ont pu revoir leurs prix à la hausse sans que cela impacte la demande parce que les consommateurs avaient accumulé du cash avec le Covid ou encore parce que les salaires ont augmenté aux États-Unis. En 2023, la demande risque de ralentir alors même que la main-d’œuvre ne cesse de coûter plus cher. Les entreprises vont être de moins en moins capables de rehausser leurs prix. Dans ce contexte, nous pensons que les groupes présentant des marges bénéficiaires saines, une capacité à augmenter davantage leurs prix ou encore un endettement relativement faible devraient résister au choc de la compression des marges. Certains ont déjà compris la problématique. C’est le cas de Tesla qui a baissé ses tarifs.

Quel regard portez-vous sur la tech ?

Dès octobre, Meta, Google, Snap et Microsoft ont publié des résultats décevants avant d’annoncer des licenciements. On dénombre à peu près 200 000 destructions d’emplois dans la tech en douze mois. Mais ce sont des chiffres à prendre avec des pincettes au regard des embauches des grandes capitalisations. En 2022, les Gafa ont beaucoup recruté. Alphabet a augmenté sa masse salariale de 17 % sur un an. Le groupe sup-prime actuellement 12 000 emplois, soit 6 % de sa masse salariale. Depuis 2019, Amazon, qui remercie 18 000 personnes (soit 1,2 % de sa masse salariale), a doublé ses effectifs. Le secteur est en réalité en train d’opérer un demi-tour sur les embauches de l’année car il a eu tendance à sous-estimer l’inflation et le ralentissement économique. Il a aussi extrapolé les tendances liées aux usages de leurs outils pendant le Covid en pensant que celles-ci perdureraient.

"Les entreprises technologiques ont sous-estimé l’inflation, le ralentissement économique et extrapolé les tendances liées au Covid"

Cette période marque-t-elle la fin d’un âge d’or ?

Il y a en tout cas un véritable changement d’état d’esprit de la part des investisseurs. Longtemps les entreprises technologiques ont affiché des croissances impressionnantes et des programmes d’investissements massifs mais au détriment de la profitabilité. Par exemple, Facebook est resté très agressif sur ses investissements alors que la croissance du chiffre d’affaires décélérait. Les investisseurs ne veulent plus de ces modèles depuis la fin des politiques monétaires accommodantes. Les entreprises l’ont bien compris et essaient de gonfler leur profitabilité à court terme.

Ce nouveau paradigme va-t-il concerner l’innovation ?

Le modèle d’innovation va peut-être évoluer. Celle-ci se fera moins à fonds perdus. Jusqu’ici beaucoup d’innovations passaient par des acquisitions : Facebook avec WhatsApp, Microsoft avec Activision Blizzard... Aujourd’hui, la réglementation est en train de changer et ces groupes n’arrivent plus à acquérir d’autres entreprises car leur taille devient trop importante, estiment les régulateurs. Ils vont devoir mieux sélectionner leurs investissements. Ce qui n’empêche pas Microsoft de miser 10 milliards de dollars sur ChatGPT.

Sur quels secteurs êtes-vous positive ?

Les entreprises qui devraient tirer leur épingle du jeu sont celles pour lesquelles les marges ne sont pas sous pression. Le luxe en fait partie. Hermès continue à augmenter ses prix sur toutes les gammes de produits par exemple. Le secteur va également bénéficier de la réouverture de la Chine qui sort de trois ans de confinement et qui dispose d’une épargne accumulée gigantesque. Nous sommes aussi très positifs sur la santé, industrie qui s’est bien comportée en 2022 et devrait poursuivre sur sa lancée cette année. Novo Nordisk développe des médicaments prometteurs contre le diabète et l’obésité. Selon une étude de Harvard, la moitié des Américains souffriront d’obésité d’ici à 2030 et les dépenses de santé repré-sentent 18 % du PIB du pays. Le marché s’avère donc considérable.

Propos recueillis par Olivia Vignaud