Les organisations dont la mission consiste à favoriser la mixité prennent différentes formes : association au sein d’une école ou d’une société, groupes rassemblant des femmes exerçant les mêmes fonctions... Les réseaux permettent d’agir sur la diversité en entreprise, que ce soit en direct ou en pesant sur la législation. Si les victoires sont belles, le combat est encore loin d’être gagné et de nouveaux défis couvent.

En janvier 2022, Christel Heydemann était nommée patronne d’Orange, devenant l'une des rares femmes à la tête d’un groupe du CAC 40. Au sein de l'indice phare parisien, seules trois directrices générales (chez Orange, Engie et Veolia) et deux présidentes (Legrand et Michelin) atteignent le haut de l'organigramme. Des promotions difficilement imputables au hasard. Les sociétés capables de faire monter des femmes à des postes de cadres dirigeants sont généralement dotées d’une culture d’entreprise ouverte à la mixité sur laquelle elles travaillent depuis de nombreuses années.

Orange est ainsi engagée de longue date pour l’égalité professionnelle. L’histoire sociale douloureuse du groupe, qui a fait face à une vague de suicides en 2008-2009, rendait nécessaire une meilleure prise en charge des ressources humaines. Un sujet pris à bras-le-corps par l’ancien patron Stéphane Richard, qui les a érigées en priorité dès le début de son premier mandat. Parmi les initiatives du groupe de télécommunications, celles pour une meilleure parité, comme les maisons du digital, qui aident les femmes à accéder à une activité rémunérée ou encore la signature du manifeste pour la reconversion des femmes vers les métiers du numérique. L’entreprise s’est également vu décerner le label GEEIS (gender equality european & international standard), qui évalue et valorise les sociétés ayant une démarche volontariste en matière d’égalité professionnelle. Un label créé par Arborus, puissant réseau de femmes en France.

Une tendance venue des États-Unis 

L’histoire des réseaux de femmes débute dans l’Hexagone à la fin des années 1990, portée par les sociétés américaines implantées dans notre territoire et pionnières sur le sujet. Alors qu’ils étaient une centaine en 2017, ces derniers se sont multipliés pour passer la barre des cinq cents organisations aujourd’hui.

Ces réseaux prennent différentes formes : réseaux d’écoles, d’entreprises, professionnels ou transverses. Côté enseignement, les établissements - d’autant plus lorsqu’ils ont pignon sur rue - se sont dotés de réseaux, clubs et autres associations. C’est le cas de Dauphine ou Sciences Po avec respectivement le Club Dauphine au féminin et Sciences Po au féminin, qui mettent en lien les étudiantes et les diplômées afin de les faire gagner en influence. "Ces réseaux permettent de fédérer les alumni femmes, de leur expliquer le plafond de verre qui va certainement advenir et de leur donner des conseils", explique Emmanuelle Gagliardi, présidente de CONNECTING WoMEN, agence qui œuvre pour la mixité en entreprise.

95 groupes du SBF 120 affichent un réseau professionnel féminin ou de mixité en interne

Côté entreprises, le CAC 40 et un certain nombre d’ETI disposent d’un réseau de femmes ou de mixité. Au sein du SBF 120, 95 groupes affichent une organisation professionnelle de ce type en interne. "Même dans les entreprises globalement féminisées, plus on monte dans l’organigramme, plus il y a des disparités hommes-femmes", note Emmanuelle Gagliardi, également auteure de Réseaux au féminin, guide pratique pour booster sa carrière. Les intéressées peuvent être à l’initiative de ces organisations qui ont pour mission de les aider à briser le plafond de verre, tout comme les groupes eux-mêmes. C’est notamment le cas dans les entreprises très techniques ou industrialisées (telles qu’IBM) qui se sont très tôt dotées d’un réseau afin de promouvoir les femmes.

Leur cheval de bataille ? L’empowerment féminin. Ce qui passe par le déploiement d’ateliers sur la confiance en soi, du mentoring, du networking avec des rencontres régulières, que ce soit entre salariées mais aussi avec des clients et fournisseurs. "Le réseau est une structure qui peut vivre à travers un tas d’activités", poursuit Emmanuelle Gagliardi. 

Laboratoires d’innovations 

La SNCF, par exemple, demande à son réseau de ne pas se cantonner à promouvoir les femmes mais d’être également un laboratoire d’innovation de nouveaux produits et services. "Un groupe minoritaire peut être considéré comme un groupe d’innovation qui peut aider l’entreprise à se transformer", explique Emmanuelle Gagliardi. Certains réseaux de femmes ont ainsi planché avant le Covid sur des chartes de télétravail ou l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. "Ce sont des choses revendiquées par les femmes mais aussi par les jeunes générations, note Emmanuelle Gagliardi. Les femmes travaillent pour déployer leur carrière mais aussi pour répondre aux besoins des générations à venir. Ce qui a d’autant plus d’impact."

À noter qu’un certain nombre de réseaux de femmes en entreprise ont évolué pour devenir des organismes promouvant la mixité, ne serait-ce que parce que la question de la diversité doit être portée par tous mais aussi afin d’éviter les travers de l’entre-soi – justement reprochés aux hommes.

D’autres types de réseaux existent, tels que les réseaux sectoriels, de fonctions, (comme ceux des femmes directrices des achats, ingénieures) ; mais aussi les réseaux transversaux qui peuvent aussi bien réunir des cheffes d’orchestre que des réalisatrices. C’est le cas du Professional Women's Network qui soude au niveau international des cadres et des dirigeantes afin de promouvoir la mixité ou encore du Women Forum, dont les grands-messes sont connues dans le monde et qui a notamment invité Emmanuel Macron, lors de son dernier grand raout. Cette liste ne serait pas complète si on ne citait pas les réseaux de lobbying, consultés et surtout moteurs pour faire avancer les choses sur le plan législatif.

Travail de lobbying 

Première grande loi française sur le sujet de la mixité, qui sert encore aujourd’hui de fil rouge : la loi sur l’égalité professionnelle de 2001, estime Cristina Lunghi, fondatrice d’Arborus. La dirigeante a notamment travaillé sur le rapport de situation comparée, mis en place depuis ce texte, et qui oblige les entreprises de plus de 300 salariés à indiquer le nombre de personnes recrutées, leur profil, leurs conditions de travail, leur type de contrat, etc. "Pour avoir une vision globale, il faut comparer. Et ce rapport nous y aide."

"Un groupe minoritaire peut être considéré comme un groupe d’innovation qui peut aider l’entreprise à se transformer"

Depuis, d’autres textes ont œuvré pour davantage d’égalité. C’est le cas de la loi Copé-Zimmermann qui oblige les grandes entreprises à afficher au moins 40 % de femmes dans leur board. "À l’époque, je voulais déjà que l’on aille au-delà. Les conseils d’administration restent des instances très politiques et les gens qui y siègent ne travaillent pas dans l’entreprise", précise la dirigeante d’Arborus. Il faudra plusieurs années pour qu’elle soit entendue et que cette volonté se concrétise par la loi Rixain en 2021, laquelle prévoit que les groupes affichent davantage de parité au sein de leurs instances dirigeantes.

Femmes et environnement 

Autre sujet porté par Arborus mais aussi des entreprises : œuvrer à la fois pour la protection de l’environnement et pour la montée en puissance des femmes dans la société. "L’idée consiste à dire qu’il faut absolument travailler sur l’équilibre entre les hommes et les femmes si l’on veut atteindre les objectifs de développement durable fixés", explique Cristina Lunghi. Et de citer les initiatives d’Orange mais aussi de Carrefour, Legrand ou L’Oréal qui s’engagent pour l’écologie et le travail des femmes. Carrefour par exemple les aide en Inde à produire du coton bio pour fabriquer des t-shirts.

Des outils indispensables 

Les femmes aux plus hauts postes auraient-elles pu y accéder sans réseaux ? "Cela ne pourrait être le cas si les entreprises restaient dans l’entre-soi masculin. La féminisation des entreprises se fait sous l’influence des réseaux, estime Emmanuelle Gagliardi. Les femmes qui grimpent aux plus hauts échelons sont toutes des expertes, des Mozart de performance et ont su se construire une visibilité et un réseau à titre personnel. Il y a des places dans les sociétés qui veulent se féminiser et des femmes pour les prendre."

La bataille est donc loin d’être terminée et, pour ne rien arranger, de nouveaux risques se font jour. Parmi eux, l’intelligence artificielle. En 2020, Arborus lançait la première charte pour une IA inclusive, signée depuis par 120 entreprises au niveau mondial. Son but ? Que les ressources humaines s’assurent que les algorithmes qui trient les CV ne soient pas biaisés. "Si on ne fait pas attention à ce qu’on met dans la machine, celle-ci va amplifier les problèmes de mixité. Ce sera une catastrophe", alerte Cristina Lunghi. La dirigeante travaille également à la création d’un métavers paritaire afin que le monde virtuel ne reproduise pas les erreurs du monde réel. "Je tiens vraiment à ce projet. Si on arrive à créer un modèle inclusif, on peut démontrer que cela fonctionne."

Autre point d’attention : s’assurer de ne pas promouvoir des clones des profils de dirigeants masculins actuels. "Remplacer des hommes blancs de 50 ans qui ont fait les mêmes études par des femmes blanches de 50 ans qui ont fait les mêmes études et qui, parfois, adoptent les codes masculins, je ne vois pas où on a gagné la bataille, estime Emmanuelle Gagliardi. On voit bien ce que donne le modèle économique construit par les hommes. On attend des femmes qu’elles apportent un nouveau regard, de nouvelles idées." Or, parfois, les femmes qui ne veulent pas intégrer les codes masculins finissent par jeter l’éponge. D’où l’intérêt des réseaux dont on aimerait bien pouvoir se passer d’ici quelques années. Douce utopie.

Olivia Vignaud