Recrutement et fidélisation des talents sont des sujets qui préoccupent les DRH, à plus forte raison en cette période d’inflation qui voit les solutions diminuer pour rester attractifs. Sandrine Gardel, avocate associée chez Opleo Avocats accompagne les entreprises sur ces sujets, en leur proposant notamment, de nouveaux systèmes de fidélisation des talents.

Décideurs. Comment attirer les jeunes dans les entreprises ?

Sandrine Gardel. Depuis quelques années, nous faisons le constat que les jeunes ne quittent plus leur employeur pour une meilleure rémunération ; le critère qui les intéresse le plus est devenu la souplesse dans les organisations : télétravail complet ou à temps partiel, ou encore flex office. En résumé, ils souhaitent gagner en qualité de vie. Les jeunes se demandent ce que l’employeur va leur apporter et non pas l’inverse. Dès lors, au-delà de ce contexte inflationniste où les enjeux de rémunération s’ajoutent à cette quête de sens, beaucoup de DRH se posent la question des solutions et des outils permettant aujourd’hui de motiver et fidéliser les jeunes.

"Les jeunes se demandent ce que l’employeur va leur apporter et non pas l’inverse"

Quels sont les nouveaux systèmes d’incitation à mettre en place afin de les fidéliser ?

Opleo accompagne notamment les dirigeants en leur proposant des systèmes de fidélisation des talents, ce qui passe principalement par des systèmes d’accès au capital pour les salariés. À mon sens, ce qui donne envie à un talent de rester fidèle à son employeur et l’aider à développer son entreprise plutôt que d’opter pour un statut plus flexible d’auto-entrepreneur, c’est l’attrait de la qualité d’actionnaire (le partage du bénéfice généré directement par son travail et la participation à la prise de décision intéressant la vie de son entreprise).

Pour autant, l’actionnariat à l’ancienne n’attire pas les jeunes talents. Pour les attirer et les retenir, il faut sans cesse innover et devenir un acteur de son temps.

Le présent s’articule autour de l’existence des actifs numériques et il s’agit aujourd’hui de façonner ces nouveaux supports pour créer des outils de fidélisation des talents.

C’est dans ce contexte que les attributions gratuites d’actifs numériques (AGAN) ont vu le jour, la loi Pacte du 22 mai 2019 ayant permis un développement du marché des actifs numériques. Néanmoins, du chemin reste encore à parcourir car ces versions numériques des systèmes que nous connaissions ne jouissent pas de régime fiscal et social aussi attractif.

Depuis 2020, l’Europe s’est aussi saisie du sujet. Dans ce cadre, un Règlement européen du 30 mai 2022 créant un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués a vu le jour rendant possible, à titre expérimental, le développement de marchés secondaires de titres financiers sur la blockchain. Enfin, le 30 juin 2022, un accord provisoire des instances européennes a été obtenu portant sur le Règlement sur les marchés de crypto-actifs (Markets in Crypto-Assets, dit « MiCA ») dont l’adoption est imminente. Ce règlement vise à réglementer et définir la notion de crypto-actifs (à l’exclusion des titres financiers) ainsi que réglementer les prestataires de service sur actifs numériques (PSAN) et réguler le marché correspondant.

Les règlements européens et leur traduction en France par une pratique définie de concert avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) pourraient ainsi bientôt permettre de les proposer comme système d’attractivité et de maintien des talents dans les entreprises friandes de rester modernes. D’autant qu’il est attendu un développement de règles fiscales qui se voudraient attractives.

"Nos clients s’interrogeant sur le régime fiscal et social associé à tous ces nouveaux crypto-actifs présents sur le marché"

Qu’est-ce que les jetons utilitaires ?

Tout d’abord, rappelons les trois catégories de crypto-actifs selon le Règlement MiCA :

- les jetons se référant à des actifs. Ces jetons visent à maintenir une valeur stable en se référant à plusieurs monnaies ayant cours légal, à des matières premières ou à des crypto-actifs. Dans la mesure où ils ont une valeur définie, ces jetons pourraient remplacer un élément de rémunération des salariés d’une entreprise mais leur contour n’est pas encore bien établi, de sorte qu’on en trouve peu qui circulent sur le marché des « cryptos » ;

- les jetons utilitaires sont destinés à fournir un accès numérique à un bien ou un service, disponible sur le système DLT. Ils ont une finalité non financière liée à l’exploitation d’une plateforme numérique et de services numériques. Dès lors, ces jetons peuvent ainsi être utilisés par des dirigeants pour rémunérer leurs salariés sous une forme non pécuniaire ou les récompenser de leur performance en leur attribuant des jetons ouvrant droit à un service ou un bien produit par l’entreprise ou pouvant être échangés sur la plateforme numérique prévue à cet effet contre des congés payés, une rémunération, un avancement de carrière, etc. Ces jetons permettent d’être créatif dans la gestion de son personnel et ils se développent très rapidement ;

- les jetons de monnaie électronique comme les Bitcoins ou Ethers, plus connus, sont déjà utilisés en complément d’une rémunération de leurs salariés par des dirigeants. De nouveaux types de jetons sont émis régulièrement, même s’ils ne rencontrent pas toujours le même succès que les Bitcoins.

On observe une prolifération des crypto-actifs depuis quelques mois en réponse aux travaux de nos parlementaires européens et de l’Autorité de régulation française. Certaines start-up s’en servent pour rémunérer leurs salariés. Un engouement certain existe dans le développement de ces nouveaux systèmes de rémunération ou d’incitation des salariés à rester fidèles à leur employeur, ces systèmes ayant l’avantage de ne pas attribuer un droit politique ou financier dans l’entreprise aux salariés, à l’instar des titres financiers et permettant également une gestion automatisée par la Decentralized autonomous organization (DAO).

Comment le pôle social d’Opleo s’est-il emparé du sujet ?

C’était d’abord une question posée à nos fiscalistes. Nos clients s’interrogeant sur le régime fiscal et social associé à tous ces nouveaux crypto-actifs présents sur le marché, comme les questions suscitées par l’amendement déposé en octobre 2021 par Pierre Person s’agissant du projet de loi de Finance 2022 qui proposait d’étendre aux AGAN le régime de faveur applicable aux attributions gratuites d’actions. Cet amendement a été rejeté, mais la quête de l’amélioration du régime fiscal et social demeure ouverte.

Depuis, des réflexions ont été menées par notre cabinet sur le développement juridique de ces nouveaux crypto-actifs et comment ils pourraient être proposés par des dirigeants pour fidéliser les talents.