Le fabricant haut-savoyard de connecteurs Nicomatic est un exemple concret d'entreprise libérée en France. Olivier Nicollin, actuel PDG de cette entreprise familiale revient sur des techniques de management inspirées par Isaac Getz. Son verdict ? Ca marche.

Décideurs. Vous êtes une entreprise dite "libérée". Pourquoi prendre une telle initiative ?

Olivier Nicollin.  Après avoir expérimenté différents modes de management, nous avons pris la décision en 2015 de développer cette culture managériale sur notre site mais aussi dans nos filiales. Avec mon frère Julien, nous alternons la présidence tous les trois ans. Cela nous permet durant quelques années de porter notre attention sur un projet particulier. Durant la crise de 2008, Julien était en Inde et a appris qu’une entreprise pouvait avoir d’autres indicateurs que la traditionnelle performance économique.Des entreprises avaient déjà franchi le cap dès 2010 mais nous ne souhaitions pas copier ces modèles. Être une entreprise libérée s'éprouve sur le terrain. Il n’y a pas de méthodes à reproduire, d’ailleurs, nous adoptons davantage le terme d’entreprise responsabilisante ou apprenante.

Comment manage-t-on une entreprise libérée ?

Nous avons réduit le nombre de 15 managers pour 150 personnes à 2 pour 300 collaborateurs. L'objectif est de rendre le management davantage collectif et moins dépendant de quelques personnes. Pour cela, nous créons des cercles d'individus au sein des unités qui prennent des décisions comme les augmentations ou évolutions de carrières. Il est préférable de travailler sur les forces des gens que de les emmener là où ils ne sont pas à l’aise ou compétents. En tant que dirigeant, je dois m'assurer de ne pas recréer des silos.

" Nous sommes passés de 15 managers pour 150 personnes à 2 pour 300 collaborateurs"

La crise sanitaire vous a-t-elle permis de mettre à l’épreuve ce système ?

La pandémie a fortement renforcé nos valeurs. Lors de l’annonce du premier confinement, nous n’avons obligé personne à venir. Tout le monde prenait ses responsabilités selon sa situation personnelle. La première semaine, 30% des effectifs venaient sur site, celle d'après, 70% souhaitaient revenir.Certaines personnes n’ont pas été présentes dans les locaux durant deux ans. Outre le fait d’être agile, il était aussi important de respecter les idées de chacun. Notre rôle en tant qu’employeur résidait dans la stricte diffusion des mesures gouvernementales. Les collaborateurs se sont sentis psychologiquement protégés, le sentiment d’appartenance à une culture d’entreprise a été renforcée. Cela nous a permis en effet de tester notre modèle. Actuellement, personne ne souhaite revenir en arrière. Nous sommes fiers d’avoir un taux de recommandation de 90%.

Comment s’y prend-t-on pour être le dirigeant d’une entreprise libérée ?

Il s’agit d’un long travail afin de parvenir à la déconstruction du modèle mental traditionnel du leader. Les équipes doivent pouvoir s’appuyer sur l’image d’un dirigeant libéré. Cela implique par exemple que lorsque nous prenons la décision d’ouvrir un nouveau site, nous ne le faisons pas pour des raisons purement financières mais d’abord pour que les collaborateurs s’y sentent bien. Les indicateurs traditionnellement utilisés sont à réinventer. Nous tentons de créer un réseau davantage axé sur l'humain que sur le factuel. Auparavant, je travaillais avec 150 indicateurs appris par cœur, aujourd’hui ce sont les équipes qui créent les indicateurs clés de performance (KPI). Le dirigeant assure de mettre en marche un changement de paradigme, la confiance des collaborateurs permet ensuite une collaboration efficiente et responsable.

Propos recueillis par Elsa Guérin