Pour répondre aux préoccupations des régulateurs, des conseillers en vote (proxy) et actionnaires, dix-huit groupes de l’indice phare parisien se sont dotés d’un administrateur référent. C’est-à-dire d’une personnalité indépendante dans leur conseil d’administration capable d’exercer un contre-pouvoir face au PDG mais parfois, aussi, face aux président et directeur général. Retour sur cette pratique, désormais répandue, et ses applications.

La collégialité, la répartition et l’équilibre des pouvoirs ne sont pas que des questions réservées aux chefs d’État, elles sont également primordiales au sein des entreprises, qui plus est lorsque celles-ci pèsent lourd économiquement. Et le sujet n’est pas nouveau. Les débats sur la gouvernance des grands groupes cotés reviennent à chaque nomination stratégique ou temps fort pour les sociétés, tels que la saison des assemblées générales. Ces réflexions ont notamment conduit à scinder les fonctions de président et de directeur général au sein du CAC40, qui compte désormais plus de sociétés à gouvernance bicéphale (deux têtes) que moniste (PDG). Mais une autre figure de l’équilibre des pouvoirs s’est imposée depuis plus de dix ans : l’administrateur référent. Si ces administrateurs aux pouvoirs élargis sont désormais monnaie courante, les pratiques d’une entreprise à l’autre divergent. Tour d’horizon, au regard de l’actualité, de ce phénomène.

En tout, dix-huit groupes du CAC40 sont désormais dotés d’un administrateur référent. Sa mission ? S’assurer du bon fonctionnement des organes de gouvernance. Ce qui passe par la surveillance de potentiels conflits d’intérêts, l’organisation si nécessaire des réunions du conseil d’administration sans la présence du PDG pour contrebalancer son pouvoir, de l’évaluation régulière du board, de la participation à des road-shows, de la gestion des plans de succession, du suivi de la mise en œuvre de la stratégie, etc. 

Des profils seniors

"Même si ce n’est pas une obligation légale, la bonne pratique est de choisir les administrateurs référents parmi les administrateurs indépendants, comme recommandé par l’AMF, l’Afep et l’IFA, note Emeric Lepoutre, fondateur du cabinet Emeric Lepoutre & Partners. Sont alors nommés le ou la plus senior parmi eux, car la sagesse et le recul sont les qualités premières, en plus du courage qui, lui, n’a pas d’âge." C’est ainsi qu’au sein du CAC40, Frédéric Oudéa, DG de Société générale, est administrateur référent de Capgemini, Jean-Dominique Senard, président de Renault, est celui de Saint-Gobain tandis que Jean-Paul Agon de L’Oréal officie chez Air Liquide.

"Même si ce n’est pas une obligation légale, la bonne pratique est de choisir les administrateurs référents parmi les administrateurs indépendants"

À ces postes, peu de femmes, quatre pour être précis (donnée effective à l’issue de la saison 2022 des assemblées générales). Parmi elles, Patricia Barbizet – ancienne tête de la holding de François Pinault, fondatrice en 2018 de la société d’investissement Témaris & Associés – qui œuvre au sein du groupe familial Pernod Ricard dont Alexandre Ricard est le PDG. Le manque de diversité s’explique par un manque plus global de femmes, pendant des années, au sein des conseils et à des postes de direction phares. Mais la loi Copé-Zimmermann, qui a introduit un quota de 40 % de femmes dans les boards des grandes entreprises, et la montée en puissance dans les groupes de la gent féminine au sein des instances de direction des sociétés ainsi qu’une nouvelle législation en la matière, devraient finir par apporter davantage de parité.

L'équilibre des pouvoirs respecté

La mise en place d’un administrateur référent compétent au sein des sociétés du CAC40 à conseil d’administration emmenées par un PDG est désormais monnaie courante. Une exception ? Thales. Laquelle peut s’expliquer par sa gouvernance un peu particulière puisque l’entreprise fait l’objet d’un pacte d’actionnaires entre l’État et Dassault Systèmes qui pèsent au conseil d’administration et ne laissent pas les pleins pouvoirs à son homme fort, Patrice Caine. "L’équilibre des participations au sein du pacte et la différence de nature des deux actionnaires (État français d’une part et un acteur industriel majeur d’autre part) garantissent la prise en compte de l’ensemble des paramètres susceptibles d’asseoir les meilleures décisions pour la société", justifie le groupe.

En tout cas, la présence de l’État au capital de l’entreprise ne motive pas à elle seule la non-existence de cette fonction. Orange, par exemple, au sein duquel siège Bercy, comptait bien un administrateur référent lorsque Stéphane Richard était PDG de l’opérateur télécom.

Qui lorsque le président est l'ancien PDG ?

Si les sociétés ont bien adopté la pratique, certaines font-elles mieux que les autres ? Des groupes à gouvernance bicéphale ont opté pour l’ajout d’une troisième personnalité. C’est le cas de Renault, Worldline, Dassault Systèmes et ArcelorMittal. Plus récemment, Danone a décidé, malgré la dissociation des fonctions de président et de directeur général, de maintenir la fonction d’administrateur référent. Celle-ci est occupée depuis 2021 par Jean-Michel Severino, lequel a chapeauté la sélection d’un nouveau directeur général en la personne d’Antoine de Saint-Affrique, remplaçant du PDG de Danone Emmanuel Faber. Dans le cadre du renouvellement du conseil d’administration du géant de l’agroalimentaire, présidé désormais par Gilles Schnepp, est proposée la nomination de Valérie Chapoulaud pour succéder à Jean-Michel Severino.

Une bonne pratique qui avait également été actée par Saint-Gobain lors de la dissociation des fonctions de président et de directeur général en 2021. Dans le cas du spécialiste de la production, transformation et distribution de matériaux, une donnée supplémentaire était à prendre en compte. Le président du groupe, Pierre-André de Chalendar, n’est autre que l’ancien PDG. Et l’homme forme un tandem avec un directeur général issu de la maison.

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Or, comme le note l’AMF dans son rapport annuel sur la gouvernance d’entreprise : "Un PDG ou un président du conseil lorsqu’il est l’ancien PDG (depuis moins de cinq ans) n’est pas dépourvu de liens d’intérêt particulier, notamment avec les salariés de la société, de sorte que sa liberté de jugement risque d’être compromise et qu’il ne peut être considéré comme un administrateur indépendant." C’est-à-dire que sa capacité à exercer un contre-pouvoir indépendant au sein de la société est réduite. En outre, certains actionnaires déplorent parfois le manque d’objectivité –  dans le bon comme dans le mauvais sens – que peut avoir un président face à son successeur. 

Le CAC40, très bon élève

Si des nuances existent au sein du CAC40, l’indice est tout de même très bien doté en la matière. Lorsqu’une gouvernance moniste est en place dans les sociétés à conseil d’administration, un administrateur référent est nommé. Certains groupes vont même plus loin avec trois regards au sommet au lieu de deux. Le SBF 80 et sociétés de plus petites tailles ont, elles, encore bien du chemin à parcourir en la matière.

Par exemple, contrairement à Danone, chez Valeo la fonction d’administrateur référent disparaît cette année à l’occasion de la scission des postes de président et de directeur général. Une gouvernance à deux têtes étant déjà considérée comme une bonne pratique. "Là où Danone fait le choix remarquable de pousser encore plus loin les règles classiques de bonne gouvernance (avec un nouveau président, un nouveau DG et un référent), Valeo interprète les règles de façon trop restrictive : la mise en place d’une gouvernance dissociée avec un ex-PDG devenu président ne saurait en effet justifier le retrait de l’administrateur référent préexistant", estime Emeric Lepoutre. Mais l’exemple donné par les plus grands groupes devrait finir par ruisseler, au moins au sein du SBF 80.

Olivia Vignaud