De nombreux dirigeants ont vu dans la période un "révélateur de personnalités". Mais la crise les invite surtout à réinterroger et réinventer leur leadership.

Planifier son avenir professionnel, faire des projections à long terme, établir des budgets à cinq ans : avant la crise de la Covid-19, les dirigeants aimaient regarder loin et se risquer au jeu des prévisions. Mais, dès lors que l’incertitude règne en reine, à quels signaux ou données chiffrées se raccrocher ? Le caractère très "socratique" de la période place les leaders dans la situation de savoir qu’ils ne savent rien. Mieux, estime Michel Font, associé fondateur de Nelta, "elle sonne le glas du mythe du chef qui sait tout".

Détecter les potentiels 

Ce que le fondateur de Nelta juge essentiel, c’est la capacité des dirigeants à résister à l’échec, à en tirer les enseignements et à rebondir. Le problème ? Les process de recrutement font émerger ceux qui ont réussi à triompher des épreuves de sélection, ils ne sont pas conçus pour faire émerger des personnalités qui seront capables de traverser des crises. Et nul ne peut prédire comment ces "super-candidats" réagiront le jour où un cataclysme leur fait perdre pied. Pour Michel Font, il faudrait envisager des modes de détection des hauts potentiels qui mettent systématiquement les candidats en échec. Pour retenir qui ? "Non pas ceux qui ont trouvé la bonne solution – puisqu’elle n’existe pas – mais ceux qui cherchent à comprendre pourquoi ils ont échoué".

Les forces spéciales "ne font pas pleinement confiance à un candidat tant qu’elles ne l’ont pas vu en phase d’effondrement"

Il s’inspire dans son raisonnement des méthodes militaires. L’armée, explique-t-il, "s’interdit de déployer les forces traditionnelles en présence d’un enjeu vital ou stratégique". Elle choisit de faire opérer les forces spéciales dès lors que "le timing n’est pas maîtrisé" ou quand la situation exige "la collaboration de personnes n’ayant encore jamais travaillé ensemble". Ces forces spéciales, elles, "ne font pas pleinement confiance à un candidat tant qu’elles ne l’ont pas vu en phase d’effondrement".

Apprendre l’incertitude

Cela ne signifie pas pour autant que l’on ne peut pas apprendre à, sinon la dompter, du moins apprivoiser l’incertitude. Le cabinet Nelta fait là encore le pari de s’inspirer des méthodes des forces spéciales pour transmettre cet "art de rebondir". Les participants sont invités à imaginer les scénarios qui rendraient impossible la continuité de l’activité de leur entreprise, et à concevoir l’organisation à déployer. Le premier des enseignements ? La nécessité de disposer d’instructions extrêmement claires. En effet, insiste Michel Font, "il est essentiel de comprendre ce qui est attendu car le moindre doute génère, en bout de course, d’énormes écarts de compréhension".  

L’heure n’est plus "aux dirigeants omnipotents et omniscients"

Mais, même en étant au clair sur "l’état final recherché", nul n’est à l’abri d’un échec. C’est même ce qui arrive à coup sûr aux dirigeants qui se confrontent aux business cases conçus par les équipes de Nelta. Michel Font énumère plusieurs raisons pouvant expliquer que telle décision n’a pas eu l’effet escompté. Si la taille de l’équipe dirigeante est trop importante, "les décisions seront plus lentes à prendre et souvent moins bonnes". La communication joue aussi un rôle déterminant. "Trop dosée ou pas assez, elle peut s’avérer contre-productive". En somme, dans un monde plus incertain que jamais, l’heure n’est plus aux "dirigeants omnipotents et omniscients". La vulnérabilité constitue même un atout. Une idée contre-intuitive ? Pas vraiment. À moins de souscrire à la pensée dominante qui voue un culte aux dirigeants charismatiques, persuasifs et, parfois, autoritaires. Ceux-là même qui, par excès de confiance, ont tendance à précipiter la chute de leur entreprise. L’humilité n’empêche pas l’ambition ni l’esprit de compétition. 

Marie-Hélène Brissot, Marianne Fougère