L'ancienne ministre de la Transition écologique prend la tête du ministère du Travail. Expérimentée, femme de terrain réputée tenace, celle qui se veut "exigeante et constructive" fait face aux défis annoncés par un climat social tendu.

L’ancienne PDG de la RATP Élisabeth Borne, polytechnicienne et ingénieure de formation, a cumulé de nombreux postes dans les entreprises et les ministères de gauche. Elle a été haut fonctionnaire au ministère de l’Équipement puis directrice de la stratégie à la SNCF, des concessions d’Eiffage, de l’urbanisme à la mairie de Paris et, enfin, directrice de cabinet de Ségolène Royal, entre 2014 et 2017, au sein du ministère de l’Écologie. Très engagée pour la cause féminine, elle a amorcé lors de son mandat à la RATP un processus pour atteindre un objectif de 40% de femmes sur les 3 000 postes pourvus en 2016.

Pragmatisme et fermeté

Plus connue pour sa force de travail que pour sa souplesse, Élisabeth Borne ne cède ni ne recule devant rien pour remporter ses arbitrages. Cette réputation lui a valu d’être surnommée "Calamity Borne" ou comparée à Margaret Thatcher moins pour souligner sa volonté de libéraliser le service public avec la réforme de la SNCF que pour illustrer sa capacité à négocier avec une poigne de fer. Elle privilégie l'approche de terrain et la politique des petits pas plutôt que les grandes déclarations. En mai dernier, 90 grands patrons signaient une tribune appelant le gouvernement à une "relance verte". En réponse, la ministre leur a transmis une liste de trois pages de dispositifs concrets à mettre en place au sein de leurs entreprises, de la prime de 400 euros à destination des salariés utilisant le vélo au repas végétarien hebdomadaire. "Je les appelle à démontrer leurs engagements avec des mesures concrètes, avait-elle tranquillement expliqué au Journal du dimanche. Je souhaite être à la fois exigeante et constructive." 

Assurance chômage, formation, insertion

Si le compromis n’a pas toujours bonne presse sur la scène politique française, il faudra dans les prochains mois batailler tant les dossiers dévolus à Élisabeth Borne ne font pas tous l’objet d’un consensus. Si les réformes structurelles promises par le candidat Macron ont été engagées dès le début du mandat et actées par les Ordonnances travail, le dialogue avec les partenaires sociaux au sujet de la suite à donner à la réforme de l’assurance-chômage s’annonce difficile. L’hypothèse présidentielle d’ajustements à la marge paraît bien faible aux yeux de syndicats qui réclament l’abandon pur et simple de la nouvelle formule de calcul de l’allocation et non son simple report à la rentrée de septembre. Les concertations seront d’autant plus musclées que l’Unédic prédit la destruction de 900 000 emplois salariés et l’indemnisation de 650 000 chômeurs supplémentaires du fait de la crise du coronavirus. Socialement, il apparaitra très risqué de vouloir réaliser des économies budgétaires. La Ministre aura donc à charge de gérer le coûteux mais efficace chômage partiel. Si, comme le rappelait Muriel Pénicaud à quelques jours de son départ, "l’État ne peut pas durablement payer les salaires de millions de personnes dans le secteur privé", Élisabeth Borne pourra du moins s’assurer que le nouveau dispositif de longue durée soit activé le plus souvent possible. 

Elle devra surtout s’atteler à dessiner les contours d’un plan massif pour l’embauche des jeunes, un sujet jugé "essentiel" par celle qui l’a précédée rue de Grenelle. Des aides pour ne "pas baisser la garde sur l’apprentissage" ont déjà été annoncées par Muriel Pénicaud. Prime à l’embauche ou peut-être exonération de cotisations salariales : d’autres annonces sont attendues dans les prochains jours pour inciter les entreprises à recruter des jeunes. Une "poigne de fer" pourrait alors s’avérer déterminante pour gagner des arbitrages face à Bercy. Et ce d’autant plus pour défendre des dispositifs de soutien à la formation qui ne figurent pas parmi les priorités à court-terme.

La formation professionnelle constitue, pourtant, un facteur-clé de la relance économique. En effet, l’enjeu sera d’aider les demandeurs d’emploi qui viennent de perdre leur travail ou ceux qui rencontrent des difficultés à en retrouver un nouveau. Il s’agira d’accompagner des reconversions parfois lourdes, de créer des passerelles entre des entreprises qui débauchent et d’autres qui recrutent. Le caractère éminemment stratégique de la formation sur le long terme explique peut-être pourquoi le ministère du Travail et de l’Emploi sera également celui de l’Insertion. Confier ce portefeuille à Brigitte Klinkert, représentante des "territoires" en sa qualité de présidente du département du Haut-Rhin, laisse à rêver à un décloisonnement et à une coordination des différents acteurs de la formation, parmi lesquels l’État, Pôle emploi, les régions ou encore les partenaires sociaux.

Retraites

Mais, avant toute recherche de compromis, c’est le dialogue avec ces derniers qu’il faudra renouer si le gouvernement décide – contre l’avis des organisations patronales comme syndicales – de remettre la réforme des retraites sur la table des négociations. De quoi mettre à l’épreuve les facultés de négociatrice de la nouvelle ministre du Travail. Cette dernière disait en janvier au sujet du système des retraites que "ne pas se préoccuper de savoir s’il est à l’équilibre, ça veut dire renvoyer la charge sur nos enfants ou bien avoir à faire des nouvelles réformes qui remettraient en cause ce qu’on vient d’annoncer". Il se dit que cet épineux dossier des retraites sera piloté directement par Jean Castex, à la réputation d’homme d’écoute et de dialogue. Quoiqu’il en soit, il fera figure de nouveau test pour les convictions de la nouvelle locataire de la rue de Grenelle qui déclarait aux premiers jours de la grève des cheminots "Je ne dirais jamais qu’une négociation est inutile. Je pense vraiment que la bonne voie, c’est le dialogue social".

Marie-Hélène Brissot, Marianne Fougère