Peu familier de la langue de bois, le DRH de Sony France, Claude Monnier, réclame un droit d’inventaire. Une interview aux allures d’états généraux miniatures.

Décideurs. Comment allez-vous ?

Claude Monnier. Je vais chaque jour un petit peu mieux. La période que vous traversons est passionnante pour les DRH, mais tous ne la vivent pas de la même manière. Chacun dispose bien sûr de ses propres ressources psychologiques ou physiques. Mais, l’état général dépend en grande partie de la qualité des rapports entretenus avec le reste du corps social. Le dialogue social, le soutien de la direction générale, me mettent du baume au cœur. En même temps, je ne peux m’empêcher de songer à la casse sociale qui se prépare, à l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi. Lorsque la précarité se distille dans notre société, lorsqu’elle s’immisce jusque dans nos entreprises, la fonction RH n’a-t-elle pas aussi pour rôle de se préoccuper de ceux qui sont privés de travail ?

Dans quelle forme se trouve justement la fonction RH ?

Par nature, la fonction RH souffre de schizophrénie puisqu’il lui revient de faire cohabiter des temps longs et des temps très courts. La moindre chose mise en place à court terme a des conséquences à long terme et inversement. Cela est d’autant plus vrai en période de crise que, dans l’urgence, court terme et long terme tendent à se superposer. Aussi, la fonction RH n’a-t-elle d’autre choix que de montrer une forme olympique ! Elle doit capitaliser sur celle-ci pour travailler à la fois les distances et les obstacles.

"la fonction RH souffre de schizophrénie : elle doit faire cohabiter des temps longs et des temps plus courts"

Quels dispositifs avez-vous mis en place pour y parvenir ?

Nous avons adopté une vision à 360° afin d’embrasser du regard tout ce qui dépasse le cadre strict du travail. Dans cette perspective, des sessions individuelle et collective de soutien psychologique ont été proposées, sur la base du volontariat, aux collaborateurs. Nous avons la chance d’être bien entouré. C’est plus facile de réinventer sa manière de communiquer quand, en un coup de fil, vous pouvez réunir des personnes talentueuses autour d’un projet d’interviews vidéos quotidiennes ou de bande-dessinée abordant des problématiques RH. Nous avons même mis sur pied une web radio qui fait l’objet de convoitises au sein du groupe. Tous ces outils permettent de maintenir le lien une fois les locaux fermés et le télétravail organisé.

Quels enseignements en tirez-vous ?

En télétravail, la performance des collaborateurs s’évalue très vite. Sa mise en place massive a confirmé ce que l’on savait déjà mais que l’on tentait par tous les moyens de minimiser. Ce ne sont pas les personnes qui s’agitent le plus qui font tourner l’entreprise. Ce ne sont pas les collaborateurs qui se montrent dans toutes les réunions qui abattent le plus de travail. Pourtant, ce sont eux qui possèdent parfois le plus grand bureau, … La crise a renversé le rapport de force entre l’exposition en termes d’image et l’utilité sociale. Les managers qui envoient des romans en guise d’emails ou planifient des visioconférences tous azimut, l’ont bien compris. Ils essaient désespérément de justifier leur rôle. Cela est inutile voire contreproductif !

Vous y allez fort…

J’aime bien la phrase d’Olivier Lajous qui dit "qu’une chaine n’a que la force de son maillon le plus faible". Aujourd’hui, le maillon faible des entreprises, c’est un certain style de management. Il revient à la fonction RH de prendre ce problème à bras le corps. Elle doit être en mesure non seulement d’apporter un niveau de reconnaissance satisfaisant aux collaborateurs très utiles mais aussi de s’occuper de ceux qui le sont beaucoup moins. Si les DRH ne prennent pas leur courage à deux mains, je crains qu’il ne faille se préparer à des mouvements sociaux majeurs. Le sujet n’est pas tant de repartir que de répartir.

"Le sujet n’est pas tant de repartir que de répartir"

L’une des grandes forces de la fonction RH réside dans sa capacité à désapprendre. Qu’avez-vous donc désappris au cours des derniers mois ?

J’ai fini de désapprendre que RH rime forcément avec égalité. Il existe autant de vérités que d’individus, ce qui suppose de s’attacher à leur singularité, de donner à chacun selon ses besoins. En somme, préférer l’équité et le sur-mesure à l’égalisation et l’homogénéisation des conditions. Cela ne signifie pas pour autant exclure la dimension collective.  Un bon RH est capable d’alterner entre le niveau micro de la psychologie et le niveau macro de la sociologie. Le temps est venu d’intégrer les sciences humaines dans les ressources humaines.

… pour mieux réapprendre et réinventer la fonction RH ?

J’ai suffisamment désappris pour ne pas refaire des RH de la même manière avant qu’après. Notre métier est interrogé autant dans ses modes de fonctionnement quotidiens que dans la nature des liens qu’il tisse avec chacun des membres du corps social. Son centre de gravité s’est, en effet, déplacé pour se rapprocher du cœur stratégique de l’entreprise. Mais cette forme de proximité doit cohabiter avec les nouvelles normes de distanciation sociale qui font voler en éclat tous les codes sociaux des relations humaines. Comment, dans un tel contexte, accorder la place qu’elle mérite à l’écoute informelle ? Et, quand tout repartira, quand il faudra à nouveau recruter, comment s’adresser à une génération qui aura vécu les attentats, le confinement et le dating sur les réseaux sociaux ? Les DRH qui feront l’économie de telles réflexions vont prendre du retard. Il me semble important de s’asseoir une minute, d’organiser une sorte de Grenelle des RH pour tirer les leçons de cette crise et mettre les DRH en ordre de bataille, prêts à affronter la prochaine.

Propos recueillis par Marianne Fougère