Le rapport Senard Notat, remis en mars 2018 à Bruno Le Maire, préconisait des pistes concrètes pour concilier entreprise et intérêt général. Deux ans plus tard, les recommandations sont devenues réalité.

Décideurs : Quelle est l'évolution mondiale de la conscience sociale, environnementale et sociétale du capitalisme ?

Nicole Notat :  Le capitalisme a toujours fait l’objet de débats animés par ses théoriciens et praticiens au sujet de la place du social dans la création de valeur. S’ajoute aujourd’hui la question environnementale. L’émergence des notions et pratiques de RSE, conséquence bienvenue et inattendue de la globalisation, apporte un éclairage nouveau et salutaire à ce débat. À ce titre, on ne peut qu’espérer que les notions classiques soient revisitées et, avec elles, la prise de conscience de l’interdépendance des fi ns et des moyens. L’Europe pourrait trouver là matière à assurer son leadership autour de la notion d’économie sociale de marché.

Pourquoi était-il important de modifier notre environnement juridique et de gouvernance? 

Jean-Dominique Senard et moi-même avons rapidement perçu que notre législation était en décalage avec des pratiques d’entreprises cotées ou non, grandes ou moyennes. La conviction de dirigeants quant à l’élargissement de leur responsabilité aux enjeux de notre temps et aux attentes de leur écosystème est de plus en plus perceptible. Il y va de leur intérêt propre. Miser sur la raison d’être est source de développement de la marque ainsi que du business d’aujourd’hui et de demain. Celle-ci permet également d’attirer et de fidéliser lescollaborateurs.

Mettre à niveau notre législation relevait pour nous d’une consécration de ces pratiques en même temps que d’une accélération de leur développement. Attribuer aux organes de gouvernance la responsabilité de prendre en considération cette nouvelle donne crée de la cohérence entre l’action de l’équipe dirigeante et le conseil qui oriente la stratégie et contrôle sa bonne exécution. Notre objectif est que, au-delà de l’actualisation du droit,nous incitions à la responsabilisation et à l’action.

Quels sont les premiers impacts constatés ? Les avancées sont-elles à la hauteur de vos espérances?

Ce qui est sûr, c’est que le concept de raison d’être a connu un accueil voire un engouement qui va au-delà de nos espérances. Mars 2018 était le bon moment pour mettre des mots que beaucoup d’acteurs attendaient implicitement sur l’actualisation du rôle et de la responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants dans un contexte où la société, les consommateurs, les organisations porteuses de causes d’intérêt général placent leurs projecteurs sur les entreprises. La reprise par la loi Pacte de la quasi-totalité de nos recommandations apporte évidemment la touche décisive à la portée de nos travaux.

Comment encourager ce mouvement?

D’abord en démontrant sa dynamique et sa portée transformatrice réelle en France et au-delà. Sûrement aussi en se donnant le moment venu le temps de l’évaluation des applications pratiques de cette partie de la loi Pacte. Le foisonnement des initiatives actuelles sur la raison d’être ou l’entreprise à mission met en évidence une grande variété de leur traduction opérationnelle. C’est une bonne nouvelle car nous en sommes au stade de l’expérimentation et chaque raison d’être doit porter la culture et la marque de chaque entreprise.

"Miser sur la raison d'être permet d'attirer et de fidéliser les collaborateurs"

Il n’en reste pas moins qu’il sera utile d’observer si le sens profond de la raison d’être, son intelligibilité pour les parties prenantes concernées par son déploiement, sa fonction de boussole pour les décisions stratégiques et opérationnelles des entreprises qui s’en réclament sont au rendez-vous de la promesse.

Pourquoi les entreprises opposent-elles « profit » et « purpose » ? Cette opposition systématique est-elle fondée ?

Si certaines entreprises opposent ces deux termes, elles font fausse route. Dans nos auditions, nous n’avons jamais entendu de dirigeants séduits par la raison d’être ou par l’entreprise à mission revendiquer une moindre attention au profit. Les deux termes ne s’opposent pas, ils se nourrissent. Évidemment, on retrouve ici l’enjeu de l’adhésion des actionnaires et investisseurs en général aux logiques de moyen et long terme, point sur lequel beaucoup ont attiré notre attention. En ce sens, la traduction de la raison d’être dans les statuts de l’entreprise est un atout puisqu’elle suppose un vote en assemblée générale.

Comment la certification RSE peut-elle servir, outre le bien commun, la profitabilité, l’intérêt de l’entreprise ?

Pour l’heure, il n’existe pas de norme certifiable en matière de RSE. La labellisation est le dispositif attaché à l’entreprise à mission. Ce qui compte, c’est d’être au clair sur la chaîne de responsabilité qui garantit la crédibilité de la promesse affichée ou attendue à l’intention des acteurs de marché, comme des parties prenantes de l’entreprise. La publication par l’entreprise des informations et indicateurs pertinents, complets et comparables par rapport à ses pairs, la vérification de l a sincérité de ces données par un organisme tiers indépendant et l’évaluation, elle aussi indépendante, de ce que ces informations traduisent en termes de niveau de performance et de maîtrise des risques sont les trois segments indissociables à même de générer la confiance tant des marchés que des parties prenantes.

Propos receuillis par Pierre-Etienne Lorenceau