Les entreprises doivent saisir l’opportunité de sortir du carcan de leurs accords de réduction et d’aménagement du temps de travail des années 2000. En seulement dix ans, les réformes successives ont simplifié l’arsenal réglementaire et supprimé de nombreuses contraintes. Quel est le champ de liberté dans la remise à plat de l’organisation du temps de travail ? Peut-on faire du « sur-mesure » ?

Ce que l’on appelle « l’aménagement du temps de travail » est né avec les lois Delebarre (1986) et Seguin (1987) qui ont facilité le recours à la modulation des horaires de travail mais ont également ouvert une ère de boulimie législative dont le coup d’arrêt sera marqué par la loi 2008-789 du 20 août 2008.

Cette loi marque une étape décisive dans l’évolution du droit de la durée du travail vers un ensemble plus contractuel et moins réglementaire : elle institue un dispositif de répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année, qui se substitue aux dispositifs préexistants : modulation, cycles de travail, réduction du temps de travail sous forme de jour de repos répartis sur quatre semaines ou sur l’année, temps partiel modulé.

Dans le même temps, le « principe de faveur » cède progressivement la place à celui de la primauté absolue de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche : l’accord d’entreprise est devenu le niveau de droit commun pour négocier en matière de durée du travail.

Un corpus légal devenu minimaliste

Ainsi désormais dans la partie législative du Code du travail, tout tient en sept articles (L 3121-41 à L 3121-47), eux-mêmes organisés selon une nouvelle architecture : les dispositions d’ordre public, le champ de la négociation collective, et les dispositions supplétives.

Tout est donc en place pour dynamiser la négociation d’entreprise (par ailleurs favorisée au regard de nouvelles règles de négociation) même si les branches gardent un certain rôle régulateur. Les normes peuvent être adaptées aux réalités du terrain, la durée du travail peut être organisée « sur mesure », en tenant compte de la grande diversité dans les activités, la taille et les modes d’organisation des entreprises.

À défaut d’accord collectif1, le seul dispositif accessible aux entreprises est un aménagement du temps de travail sur une période limitée à quatre ou neuf semaines (selon l’effectif de l’entreprise) mais il faut alors répéter des « périodes de travail » selon un programme indicatif.

Sous la seule réserve de respecter les éventuelles dispositions de branche en ce qui concerne la période de référence, chaque entreprise peut, par voie d’accord d’entreprise/établissement, aménager le temps de travail sur une période pouvant aller jusqu’à un an, et même trois ans si un accord de branche l’autorise.

Si la période de référence est annuelle, il n’est plus nécessaire de la faire coïncider avec l’année civile, ce qui permet aux entreprises de s’adapter au mieux aux variations d’activité2.

L’accord collectif devra seulement prévoir, outre la durée de la période de référence :

- les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d’horaires de travail : ainsi un délai de prévenance inférieur à sept jours3 pourra être instauré, pourvu qu’il soit « raisonnable », ou être modulé selon les circonstances (ampleur du changement d’horaire, modification à la hausse ou à la baisse…). L’entreprise pourra également fixer les modalités pratiques d’information des salariés.

- les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période,

- le lissage éventuel de la rémunération et ses modalités.

Il n’est en revanche plus obligatoire de prévoir dans l’accord, notamment, les données économiques et sociales justifiant l’application d’une modulation, ou encore d’établir un programme indicatif de la répartition de la durée du travail sur la période de référence, ou même encore de fixer les limites hebdomadaires à l’intérieur desquelles la durée du travail peut varier, et s’agissant des salariés à temps partiel, la durée minimale de travail journalière, hebdomadaire ou mensuelle.

Nombreuses sont les entreprises dont les accords collectifs, négociés sous l’empire d’une législation plus contraignante, sont devenus inadaptés. Certaines clauses ne sont d’ailleurs plus respectées, ce qui génère une réelle insécurité juridique.

Ainsi, il faut saisir l’opportunité de repenser les dispositifs d’organisation du temps de travail, afin de les rendre plus souples et donc plus à même de répondre aux besoins économiques et sociaux de chaque entreprise : système de jours RTT plus flexible, alignement de la période d’acquisition des congés payés sur l’exercice annuel d’aménagement du temps de travail, aménagement pluri-hebdomadaire du travail à temps partiel…

Une place prépondérante laissée par le Code du travail aux négociateurs

Puisque le contexte réglementaire s’est allégé, les partenaires sociaux ne sont plus cantonnés à un rôle de « compilateurs » : leur créativité peut s’exprimer dans la limite de quelques garde-fous.

On trouve plusieurs terrains d’expression de ces nouveaux champs de négociation.

À titre d’exemple, s’agissant des heures supplémentaires :

- les parties peuvent déterminer leur taux de majoration (avec un plancher de 10 %), le cas échéant par tranches,

- elles vont pouvoir fixer les limites pour leur décompte au regard de la période de référence choisie ; si elles optent pour une période annuelle, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne peut pas excéder 1 607 heures, même en cas de congés payés non pris. Si la période de référence est supérieure à un an, constituent des heures supplémentaires celles effectuées au-delà d’une moyenne de 35 heures, avec toutefois une limite haute hebdomadaire maximale de 39 heures. Enfin, si le choix se porte sur une période de référence inférieure à une année, les heures supplémentaires seront uniquement celles effectuées au-delà d’une moyenne de 35 heures.

En parallèle, les négociateurs peuvent mettre en place des mécanismes d’optimisation intéressants, tant pour l’entreprise que pour les salariés ; par exemple un Compte épargne temps, dont les lois successives en ont grandement facilité l’utilisation (alimentation, nature des droits affectés, possibilité de monétarisation…), et avec lequel il est possible de créer des passerelles vers des plans d’épargne (PEE, PEI, Perco) ou même vers le compte personnel de formation, selon des modalités à définir dans l’accord.

En conclusion, au regard du champ de liberté désormais offert aux entreprises en matière d’aménagement du temps de travail, la négociation d’entreprise a de beaux jours devant elle, pour autant que les partenaires sociaux s’en saisissent.

Par Sandrine Deroubaix, avocat associé. Norma Avocats

Notes de bas de page

1 Sauf pour les entreprises fonctionnant en continu qui peuvent passer par voie de décision unilatérale

2 Apport de la loi 2016-1088du 8 août 2016

3 Délai supplétif