La loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" affiche l’ambition d’opérer un véritable changement de paradigme dans le système de la formation professionnelle : recentrer l’ensemble du dispositif autour des individus, et non plus des entreprises. La ministre du Travail Muriel Pénicaud évoque cette réforme et son objectif de personnalisation . L’ancienne DRH de Danone en assume pleinement les impacts sur les employeurs, habitués jusqu’ici à concevoir l’effort de formation plutôt dans une logique d’optimisation que d’investissement.

Décideurs. La loi Avenir professionnel consacre une volonté d’autonomisation du salarié dans la démarche de ­formation. Pourquoi ce principe ?

Muriel Pénicaud. La loi s’inscrit dans un ensemble plus vaste de réforme du marché du travail, conçue en trois étapes : les ordonnances travail, la stratégie compétences et l’assurance chômage. La « stratégie compétences » se décline elle-même en deux pans : la loi pour la liberté de choisir son ­avenir professionnel, ainsi que l’adoption d’un programme d’action ­d’envergure. L’État a en effet décidé d’investir 15 milliards d’euros afin de former un million de jeunes et un million de demandeurs d’emploi. C’est inédit et essentiel sachant que le premier ­marqueur du chômage est le manque de qualification. Le taux de chômage des personnes sans qualification monte à 18 %. Pour les cadres, le chiffre est de 3,8 %. Plus largement, l’émancipation par l’éducation, par la formation et par le travail se situe au cœur de notre ­projet politique. Il ne s’agit pas de renvoyer chacun à lui-même mais de s’organiser collectivement pour que chaque individu ait la possibilité de faire évoluer ses compétences. ­L’esprit de la loi est bien celui-là : mettre en place des droits portables, garantis collectivement.

"L’esprit de la loi est de mettre en place des droits portables, garantis collectivement"

Qu’entendez-vous par là ?

Dans un monde où les personnes seront amenées à exercer plusieurs métiers et à changer souvent d’entreprise, il est essentiel de ­développer cette notion de droits portables. C’est vrai pour la retraite, pour l’assurance chômage… et pour la formation. La réforme se fonde sur une philosophie non pas d’individualisme, mais de personnalisation. Le compte personnel de formation (CPF), qui s’appellera désormais « mon compte formation », y occupe une place prépondérante. Tout actif du secteur privé doit pouvoir choisir lui-même, selon ses besoins et aspirations, une formation qui fait sens dans sa trajectoire professionnelle, que ce soit pour accéder à l’emploi, maintenir une qualification dans un monde qui bouge, obtenir une promotion, ou encore se reconvertir pour réaliser à quarante ans ce qu’il a toujours voulu faire…

Tous les salariés sont-ils susceptibles d’adopter cette posture ?

Pour celles et ceux qui sont moins clairs sur leur projet, nous avons prévu un accompagnement, celui du conseil en évolution professionnelle. Il ne faut pas croire que les plus diplômés savent mieux ce qu’ils veulent faire que les autres. Il m’arrive d’être interpellée par des ­personnes qui ont fait très peu d’études et qui ont une idée précise de l’évolution qu’ils souhaitent. La loi leur donne désormais le moyen de réaliser leur projet. Jusqu’au 31 mars 2019, les Opca avaient le pouvoir de dire oui ou non aux salariés… et ils refusaient dans la moitié des cas les programmes demandés. Les études d’impact que nous avons réalisées en préparant la réforme ont révélé que 12 % des ouvriers seulement choisissent leur formation contre 20 % pour les cadres. Les personnes pourront désormais faire leur choix sans passer par un intermédiaire et on ne pourra pas le leur refuser. Pour l’instant, les Français connaissent encore mal leurs droits au titre du CPF. Les choses changeront lorsque l’application sera lancée, en novembre prochain.

Comment se présentera cette application ?

Sur l’application, les personnes pourront connaître le montant qu’elles ont sur leur compte formation, avoir accès à toutes les formations certifiantes en cours, avec la précision des places disponibles, mises à jour en temps réel. Elles pourront ­s’inscrire et payer leur formation… Seront également accessibles les commentaires de ceux qui auront déjà suivi le programme, comme une sorte de « Tripadvisor ». C’est un défi de réaliser un tel projet en un an ! À ce jour, un seul État, Singapour, ­travaille à un outil similaire. Mes homologues américains et européens sont très intéressés par notre appli et beaucoup suivent de près notre expérience. Le dispositif conduira par ailleurs à transformer en profondeur l’offre de formation de notre pays. Du point de vue des organismes de formation, cela constitue une ­révolution. Aujourd’hui, ils travaillent en B2B. Demain ils feront du B2B, du B2C et du B2B2C.

Comment les entreprises vont-elles se positionner vis-à-vis de leurs salariés, d’autant qu’elles ne peuvent mobiliser leur CPF ?

Le système s’adresse à l’individu et non à l’entreprise. Si un salarié prend une décision pour lui-même, il peut choisir de ne pas en parler à son entreprise, ou au contraire de le faire s’il pense qu’elle pourrait être intéressée. Dans ce cas, un co-investissement de l’employeur et du collaborateur est possible. De leur côté, les entreprises, dans le cadre de leur plan de formation – plan de développement des compétences depuis la loi – pourront proposer à leurs collaborateurs de se porter candidats pour suivre le parcours qu’elles entendent financer, et de cofinancer des formations qualifiantes avec l’argent disponible sur leur compte ­formation. Aujourd’hui elles négocient avec les Opca/Opco, désormais elles négocieront avec les salariés, par voie d’accord individuel ou collectif.

La réforme traite-t-elle toutes les ­entreprises de la même façon ?

Jusqu’ici, les grandes entreprises récupéraient plus en financement que ce qu’elles versaient dans le cadre du système de mutualisation, et les TPE payaient en partie pour elles. Aujourd’hui, les grands groupes financeront directement leur plan de développement des compétences. Cela me paraît normal. Parallèlement, la mutualisation permettra de doubler le financement des TPE/PME, qui représentent l’un des défis de la formation. Aujourd’hui, seul un salarié sur trois dans ces entreprises se forme chaque année, souvent pour une très courte durée.

"Les grands groupes financeront directement leur plan de développement des compétences. Cela me paraît normal"

Quelle place peut avoir la branche dans ce système ?

La loi renforce beaucoup le rôle des branches en matière de compétences. Elles peuvent notamment décider d’abondements aux CPF dans une démarche de gestion ­prévisionnelle ou pour apporter des solutions sur les métiers en tension. L’application signalera d’ailleurs aux utilisateurs les ­formations qui font ­l’objet d’un financement complémentaire de la part de la branche. Cette dernière aura aussi désormais le rôle de définir le contenu ­professionnel des diplômes. Il n’est plus dévolu à l’État, sauf pour la partie d’enseignement général. Cela leur permettra de mettre en place de nouvelles qualifications beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Les Opco feront la jonction entre les entreprises et les branches, qui sont donc responsabilisées. J’appelle les entreprises à investir les ­discussions de branche.

Pensez-vous que les entreprises ont ­entendu cet appel ?

Cela démarre !

Comment le pays peut-il se préparer à la disparition annoncée de nombreux métiers ?

Aujourd’hui l’accès au capital ­financier est plus facile que l’accès au capital humain et les compétences deviennent un actif stratégique pour les entreprises. C’est vrai également à l’échelle de la nation. Les directeurs des ressources humaines ont un rôle à jouer, au sein des comités de direction et ils doivent se battre pour diffuser une culture de la formation auprès de leurs collaborateurs. Nous pourrons considérer que cette réforme est un succès si, dans dix ans, l’idée que l’on doit se former tout au long de la vie n’est pas seulement humaniste mais ancrée dans la culture et les pratiques. Si chacun peut ­anticiper, choisir et non subir son ­avenir professionnel, cela change tout. On a ­beaucoup moins peur du futur lorsqu’on en est acteur, c’est la ­dynamique que nous portons.

Marie-Hélène Brissot et Roxane Croisier

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