INFLUENCEURS. Dénicheuse de talents, révélatrice de potentiel mais aussi bousculeuse d’idées reçues, Lucille Desjonquères agit au quotidien pour favoriser l’entrée des femmes au sein des conseils d’administration des entreprises ; pour que leur voix soit entendue, leur expertise reconnue. Au nom d’un certain idéal, certes, mais aussi par simple pragmatisme. Rencontre avec une activiste de la parité, militante de la cause des femmes et du bon sens économique.

Faire monter les femmes dans les hiérarchies jusqu’à les faire siéger au sein des conseils d’administration, non pas parce que c’est la loi, mais parce que c’est rentable. Tel est le message que Lucille Desjonquères s’emploie à délivrer aux dirigeants d’entreprise qu’elle reçoit et conseille quotidiennement dans ses bureaux de l’avenue Marceau où siège Leyders Associates, le cabinet de chasseurs de têtes qu’elle a créé il y a quatre ans avec son mari. « À l’époque, se souvient-elle, l’idée était de repenser l’approche du recrutement, de réfléchir à l’évolution du métier ». Du côté des entreprises, l’heure est, en matière de profils et de talents, à l’ouverture mesurée et à la mixité saupoudrée. Aux bonnes intentions affichées et aux vieux réflexes conservés ; ceux de l’entre-soi et de l’homogénéité. De la prédominance écrasante et incontestée des costumes gris à la tête des organisations et au sein des conseils d’administration.

Sous le plafond de verre

Puis survient la loi Copé-Zimmerman et, avec elle, l’obligation faite aux entreprises de plus de 50 millions de chiffres d’affaires et de 500 salariés (250 seulement d’ici trois ans) de compter 40 % de femmes dans leur conseil d’administration au 1er janvier 2017. De quoi bouleverser les habitudes et, pour Lucille Desjonquères, dégager de nouvelles perspectives. De business d’abord, de combat ensuite. « Au départ j’ai vu dans cette loi un marché en termes de recrutement, explique-t-elle. Et rapidement, c’est devenu autre chose pour moi. Un engagement. Une cause. » Celui des talents féminins en manque de visibilité ; victimes semi-consentantes des réticences d’une proportion encore élevée de dirigeants masculins, mais aussi de leur propre frilosité dès lors qu’il est question de briguer une promotion ou même de parler augmentation.

Pour anticiper la forte demande d’entreprises confrontées à l’obligation légale de faire entrer des femmes dans leur conseil d’administration et transformer ces nominations imposées en authentiques vecteurs de croissance, Lucille Desjonquères se met en quête de pépites : « Des femmes sous le plafond de verre; avec toutes les compétences requises pour faire le job mais sans la visibilité requise pour se le voir proposer. »

Pépites…

Des femmes dont, depuis, elle s’emploie à « révéler le talent ». Au nom d’un certain idéal de parité mais aussi par pur pragmatisme économique. « Toutes les études menées en entreprise le prouvent, rappelle-t-elle ; les femmes sont sources de performance et de création de valeur. » Et depuis peu, vecteurs d’attractivité pour nombre d’investisseurs attachés aux questions de RSE autant qu’aux perspectives de retour sur investissement. De quoi rendre leur présence en haut des organigrammes plus que jamais stratégique, estime Lucillle Desjonquères dont le cabinet – Femmes au cœur des conseils – dispose aujourd’hui d’un « portefeuille » de 1 000 professionnelles. Toutes compétentes dans leur domaine d’expertise, irréprochables dans leur parcours, motivées et performantes. Toutes désireuses de se voir confier des mandats en entreprise mais peinant à les obtenir. « Les femmes ont moins d’ego, elles veulent tout le temps apporter des preuves de leur valeur, explique-t-elle ; démontrer qu’elles sont capables, endurantes, engagées… Et pourtant, elles restent peu écoutées et insuffisamment valorisées ». Une réalité qu’elle combat à coups de formations sur mesure. Leur objectif ? « Emmener les femmes à développer leur autorité autrement, à s’affirmer en tant que leviers de création de valeur sans verser dans le syndrome de la discrimination positive » ; cette fausse bonne idée tout juste apte à « alimenter les stéréotypes sans décloisonner les esprits »…

Idéaux et pragmatisme

Et décloisonner les esprits, forcer les portes, bousculer les schémas établis, c’est désormais ce qu’ambitionne Lucille Desjonquères. Aussi, lorsqu’en mars 2016, l’International Women Forum (IWF), un réseau international regroupant 7 000 femmes leaders, décide de se doter d’une entité en France, il lui en propose la présidence. Elle accepte, accédant à un poste d’observation idéal qui lui permet aujourd’hui de répondre aux attentes de tous types d’entreprises dans le monde. De quoi élargir sensiblement le périmètre de son action, voire le sens de son engagement avec l’envie nouvelle de s’impliquer dans le programme lancé par l’ONU « He for She ». Depuis 2014, celui-ci œuvre en faveur d’un monde plus paritaire en incitant les hommes – chefs d’Etat, CEO, présidents d’université… - à « mener des actions concrètes et mesurables ». Comme celle consistant à casser les mariages forcés en Afrique pour ramener les jeunes filles sur les bancs de l’école. Une démarche dans laquelle Lucille perçoit encore une fois, au-delà de l’enjeu humanitaire, une question de salut économique. « Établir la parité dans le monde permettrait de dégager de nouveaux leviers de création de valeur, répète-t-elle. De doper la consommation mondiale et, enfin, d’éradiquer la crise économique ». Un argument à la portée de toutes les consciences, jusqu’aux plus machistes du CAC 40.

Caroline Castets