Par Frédéric Leclercq, avocat associé. Lusis
La Cour de cassation rappelle, avec bon sens, que, pour décider valablement de la désignation et de la mission d’un expert, l’ensemble des membres du CHSCT doit avoir pu préalablement étudier un dossier de consultation complet, comportant, notamment le cahier des charges dudit expert. 

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu, le 13?février dernier, un arrêt qui, par le sujet abordé et la qualité de la solution rappelée, mérite que l’on s'y arrête. Un CHSCT vote le principe d’une expertise et désigne l’expert, sans toutefois que le contenu, les moyens et le coût de cette mission n’aient été portés à la connaissance des membres du CHSCT, avant leur vote. L’expert réalise sa prestation et sollicite le paiement de ses honoraires auprès de l’employeur, qui refuse, invoquant la nullité de la délibération qui a nommé l’expert. La Cour de cassation valide cette analyse en décidant :
«?... la cour d’appel, qui a relevé que le cahier des charges et le projet de convention n’avaient pas été communiqués aux membres du CHSCT avant la réunion, malgré leurs demandes, a pu retenir que ceux-ci n’avaient pas été en mesure d’adopter une délibération en connaissance de cause et que celle-ci devait être annulée » (1).
Cet arrêt rappelle un principe important, élémentaire, trop souvent oublié lorsqu’il s’agit du fonctionnement des instances représentatives. Le respect des règles d’information préalable à un vote s’applique à tous, pas seulement à l’employeur. Cette décision met aussi en évidence le rôle du président de l’instance dans ce domaine.

Les membres d’une instance doivent pouvoir se prononcer en connaissance de cause

La règle rappelée par la Cour de cassation est générale
Les juges de cassation ont, ici, tranché une question qui concernait le CHSCT, au visa de l’article R 4614-3 du Code du travail. Il faut comprendre que cette prescription jurisprudentielle s’applique dans toutes les situations :
- lorsque le dossier soumis à l’examen du CHSCT a été préparé par la direction, qui va solliciter un avis,
- ou, lorsque c’est un ou plusieurs membres du CHSCT qui soumettent un projet à l’avis ou à la décision de l’instance,
- enfin, il apparaît logique - sinon évident - que cette règle s’applique aussi au CE dont les principes qui régissent les délibérations sont identiques.

Une règle d’équité et de parallélisme des formes
Nul ne songe, aujourd’hui, à contester que le Comité d’entreprise et le CHSCT ne peuvent valablement se prononcer sur un sujet proposé par l’employeur si celui-ci n’a pas préalablement :
- formulé un ordre du jour clair ;
- communiqué au plus tard avec l’ordre du jour les documents nécessaires à la compréhension du sujet proposé ;
- laissé à ceux-ci un délai d’examen suffisant ;
- répondu de manière motivée aux questions des membres de l’instance.
Ce sont les critères – objectifs - d’un débat loyal. Pour quelles raisons les membres de l’instance, lorsque ce sont eux qui portent le sujet présenté en séance, seraient-ils exonérés des obligations similaires dès lors qu’un avis ou une décision est sollicité ?

Le respect des débats et des échanges en séance
Au-delà, c’est le respect de la mission des membres de l’instance, (parmi lesquels figure aussi le président !) qui est en cause. Trop souvent, au sein de certaines instances, le vote des élus est sollicité par l’un d’eux sans que chacun ait reçu préalablement les documents qui permettent d’éclairer le débat. Parfois même, le vote est sollicité sans même que la question n’ait été clairement portée à l’ordre du jour… Les circonstances qui ont présidé à la décision du 13?février 2013 en sont l’illustration. Les pratiques, parfois tolérées par certaines juridictions de première instance, doivent cesser. Le fait que le dossier ait été préparé par quelques élus, le plus souvent par le secrétaire de l’instance, n’est certainement pas une garantie suffisante vis-à-vis de l’ensemble de membres. L’équipe de direction qui préside, doit aussi pouvoir jouer son rôle «?en connaissance de cause?». Tous doivent donc pouvoir étudier, posément, les éléments de la décision sollicitée. Chacun doit ainsi pouvoir disposer du temps nécessaire pour mesurer la portée, les conséquences, du vote qui va lui être demandé. Chaque membre doit pouvoir éventuellement interroger, suggérer d’éventuelles alternatives avant que l’on passe au vote.

Le rôle du président de l’instance est essentiel
Dans l’affaire tranchée ici, l’attention des juges avait été attirée par la protestation de deux organisations syndicales quant aux conditions du vote intervenu. Si personne ne réagit, il est évident que rien ne fera obstacle à ces pratiques regrettables. Or, le garant de la qualité des débats en séance, c’est le Président. C’est le rôle qui lui est dévolu par la loi. L’expérience montre que, souvent, lorsque le sujet proposé au vote est présenté par un élu, rare sont les membres salariés qui interviennent et sollicitent des explications complémentaires. Moins nombreux –encore - sont ceux qui exigent une communication préalable de documents pertinents et complets… C’est le rôle du président que de veiller et d’exiger le respect des prescriptions légales et jurisprudentielles, pour un débat clair et transparent. Quand bien même les élus ne demandent rien, il est de la responsabilité du président – avant d’organiser le vote — de s’assurer que chacun dispose des éléments qui permettent de décider «?en connaissance de cause?».
- Un ordre du jour clair et explicite visant le sujet en cause et informant chacun de ce qu’un vote sera organisé ;
- l’envoi préalable d’un dossier à chaque participant emportant les éléments nécessaires à la décision sollicitée ;
- le président doit veiller à ce que chacun puisse s’exprimer lors de la séance, lui, y compris ;
- c’est à lui enfin d’organiser le vote de l’instance en veillant à ce que la délibération ou la question qui va être tranchée ait été clairement formulée.

Que faire lorsque certains s’opposent au respect de la règle jurisprudentielle ?
Dans certains cas, heureusement rares, les élus mis en garde par le Président et/ou d’autres participants persistent et exigent l’organisation du vote prévu bien que les membres de l’instance (ou à tout le moins certains d’entre eux) n’aient pu disposer des éléments d’informations nécessaires. La solution préconisée est alors la suivante :
- Le président doit mettre solennellement en garde les élus contre le caractère illicite du vote ainsi exigé ;
- il doit veiller à ce que ses réserves soient portées au procès-verbal ;
- il doit alors, néanmoins, organiser le vote.
Il lui appartient ensuite de décider de la suite, éventuellement judiciaire qu’il voudra réserver à la délibération prise sans respect des règles élémentaires d’un débat loyal.

1- Cass. Soc. 13 février 2013 n° 11-27.089


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