Membre de la tribu de Seattle Avocats, François de Cambiaire est une personnalité engagée. Affairiste, il bifurque quelques années après avoir prêté serment pour faire du "droit humain des affaires". Il est de ces avocats pionniers qui tentent de rendre effectif le devoir de vigilance dans le paysage juridique français.
François de Cambiaire, sauve-qui-peut-la-planète
On pourrait dire que c’est en traversant la rue qu’il a trouvé sa voie. Français de Cambiaire étudiait en classe préparatoire lorsqu’il s’est rendu compte qu’il préférait rejoindre les bancs de la fac de droit, de l’autre côté de la Canebière à Marseille, sa ville d’attache et de cœur. Sa famille ne comptait pas d’avocat. Aîné d’une fratrie de trois enfants, il a grandi avec des parents divorcés. Une séparation qui pourrait avoir déterminé ce qu'il est aujourd'hui. L’associé de Seattle rejoint le psychanalyste Jean-Pierre Winter qui disait que l’avocat est l'enfant qui porte la voix d’un des parents face à l’autre. Et quand on l’interroge sur son orientation en droit des affaires ? "J’avais besoin d’humain et de technique." Il ajoute que "c’était un peu une tendance" et "que c’est ce qu’il y avait de plus cartésien". L’avocature, "[il y est] venu avec l’envie de plaider. Avec l’idée que l’on s’en fait dans les films, dans la littérature". Son film culte : Borsalino avec Michel Bouquet qui jouait l'avocat et qui (hasard ?) signa en 2018 la tribune contre le réchauffement climatique intitulée "Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité". François de Cambiaire était scientifique, mais rêvait d’être écrivain. Preuve en est : en classe de troisième, il cherche à contacter l’écrivain et philosophe allemand Ernst Jünger pour parler métier. "J’ai reçu un faire-part de décès. Il a disparu à 102 ans. Je l’ai manqué de peu." Avant de quitter sa Bonne Mère pour Paris et Assas, il s'attarde dans un stage chez Alain Vidal Naquet, grand avocat marseillais et ancien premier secrétaire de la conférence du stage, "une figure de maître, engagé dans la ville de Marseille". Cette première expérience "personnifie" le métier.
Label Sauce
À Assas, dans le 5e arrondissement parisien, il découvre, au-delà de l’écart de niveaux avec son université de provenance, un milieu ultra concurrentiel "où les gens ne partageaient pas leurs cours à cause des places limitées en master 2", très bourgeois et plutôt ancré à droite. "C’était dur, ce n’étaient pas mes idées." À l’Essec, où il prolonge le plaisir des études, il trouve davantage son compte : des personnalités plus ouvertes et engagées sur le plan social, des occasions d’aller à l’étranger, de l’associatif et de l’entrepreneurial. Là-bas, il adhère à l’association culinaire Label Sauce – il adore la bonne bouffe – et il participe à la création de PlaidEssec, fondée par Joan Burkovic, inspirée de la conférence Berryer. Première association à organiser des concours de plaidoirie en école de commerce, elle rencontre "un succès fou". C’est encore l’une des associations phares de l’école selon l’avocat. Il y a aussi "Une Grande École Pourquoi Pas Moi ?", un programme avec lequel il fait du tutorat dans un lycée d’Argenteuil.
"Je n’avais pas du tout conscience de l’urgence à 20 ans. C’était abstrait"
En 2011, il s’envole pour le Qatar, chez UGGC, "au moment où le pays commençait à être placé sur la carte avec l’attribution de la coupe du monde de foot". Là-bas, les problématiques des énergies fossiles et des dérives du développement lui sautent aux yeux. Il contemple ce pays qui s’est développé à partir de rien. "Si tout le monde fait ça, on ne s’en sort pas." Comme pour se laver du péché d’avoir passé six mois dans cette cité du désert surréaliste rendue habitable à grand renfort de climatiseurs, François de Cambiaire en passe deux de plus au Togo, où il enseigne dans un village de la brousse – en "contrepartie". Il confesse au détour de la discussion qu’il aurait aimé savoir plus tôt qu’il était possible d’aligner sa pratique professionnelle avec ses convictions. "Je serais peut-être allé voir du côté de certaines associations ou de certaines organisations internationales et dévouées en particulier aux questions climatiques. Je n’avais pas du tout conscience de l’urgence à 20 ans. C’était abstrait." De retour à Paris, il entame sa carrière d’avocat chez Brandford Griffith & Associés. Ça tombe à pic, il lui faut rembourser son prêt pour l’école de commerce et payer son loyer parisien. Là-bas, apprend "à la dure". Brandford a une très belle clientèle, de directions juridiques notamment, et plus d’associés que de collaborateurs. Contentieux AMF et boursier, droit des sociétés, contentieux civil et commercial : il rédige ses notes tard le soir et les dépose souvent le week-end à l’associé pour qui il travaille.
Au bout de quatre ans là-bas, il donne un tournant à sa carrière. François de Cambiaire veut travailler avec et pour des individus qui partagent ses idéaux. En creux, il pense à retrouver sa ville natale, Marseille. C’est l’époque du procès Erika, et il postule chez Jean-Pierre Mignard, dont le cabinet Lysias, qui accompagne Médiapart, est très engagé sur les droits humains et a des connexions avec la cité phocéenne. "C’est une deuxième naissance professionnelle." Ce changement de cap chamboule sa façon de travailler : "Je passe d’une dizaine de dossiers à 80 dossiers." Il ne sent plus un simple prestataire de services. "Très vite, je m’inscris à la défense pénale", et il plaide – beaucoup. Et se rend compte qu’un avocat est aussi "un vrai auxiliaire de justice". C’est chez Lysias qu’il rencontre ses futurs associés de Seattle, Sébastien Mabile – l'un des premiers avocats engagés en droit pénal de l’environnement – et Emmanuel Tordjman. "J’ai réussi à aligner mes convictions à ma volonté de m’engager et utiliser le droit comme outil d’engagement dans la société." Depuis plusieurs années, il se bat aux côtés d'une quinzaine de villes et de cinq associations pour obtenir de Total le respect de son devoir de vigilance. Il était également de la partie lors de la mise en demeure de BNP Paribas de mettre fin aux financements de nouveaux projets fossiles, ou encore de celle adressée à neuf grands groupes de l’agroalimentaire au sujet du fléau de la pollution plastique.
Droit et militantisme
Aux côtés de Jean-Pierre Mignard, François de Cambiaire a découvert que "le droit est politique"bien qu’il ne faille pas "confondre le droit et le militantisme". Les avocats militants, ça existe depuis le premier jour. L'un d'eux, Robert Badinter, s'en est allé en ce début d'année. Le Marseillais avoue avoir un goût mitterrandien de la profession. Mais il faut garder la distance dictée par la prestation de serment. "Le droit évolue avec son temps" et "l’avocat est un des rouages qui permet au droit d’évoluer". Ce qui fait que "chaque délibéré est une boule au ventre". Il a pour principe de ne jamais manger avant une audience pour éviter l’apathie, ou juste un peu de sucre pour tenir. Le reste du temps, il apprécie ses plats ailés et pimentés. Il prépare ses plaidoiries en écoutant le requiem de Fauré ou un morceau de Bach, "pour la transcendance et la concentration". Celui qui préfère Camus à Sartre, parce qu'"il y a tout dans Camus : la justice, la conscience de l'homme de sa médiocrité et l'histoire", adore la musique : il ne se lasse pas des chansons de Rachid Taha et s’est récemment remis au piano – "J’arrive à jouer trente minutes tous les jours." Un bon moyen de compenser la carence de bains dans les calanques. Sa vie parisienne lui apporte autre chose, comme cette première victoire dans l’affaire Yucca contre les charcutiers au mois de décembre 2022. Il se souvient d’avoir glissé sur les genoux comme si l’OM avait gagné. "J’y ai laissé un costume." Et pour le prochain défi du siècle, le défi climatique, y laissera-t-il sa chemise ?
Anne-Laure Blouin