Le M&A était une évidence pour celui qui dirige aujourd’hui la pratique chez Skadden sur le plan européen. Armand Grumberg se sent à sa place au milieu d’une négociation internationale avec de grandes entreprises, autant qu’il se plaît au bord d’un étang de campagne. Et n’a jamais oublié son credo, en plus de vingt-cinq ans de carrière : redistribuer à ceux qui ont moins.

Quand il ferme les yeux, Armand Grumberg revoit – et revit – le jour où il a reçu sa lettre d’acceptation à Harvard. Il se souvient de tout, même du morceau de George Michael qu’il écoutait à ce moment-là. "Je ny aurais jamais cru." En cette fin des années quatre-vingt-dix, Armand Grumberg a pourtant déjà un début de parcours prometteur. Il passe son enfance à Vienne, non loin de l’un des sièges de l’ONU, entouré d’une variété de nationalités. Cela lui donne le goût de l’ailleurs. Il se voit avocat, diplomate ou professeur. Ses études de droit en France l’emmènent vers la robe mais, s’il devait se reconvertir, il se dirigerait vers la diplomatie. En 1997, il intègre Sullivan & Cromwell. Sa rencontre avec Pierre Servan-Schreiber marque le début de quinze ans d’exercice "main dans la main". Alors qu’Armand Grumberg est envoyé à New York, son mentor quitte Sullivan & Cromwell pour Skadden. Il le rejoint en 2003. Armand Grumberg a trois ans de barre, il n’est "pas jeune mais pas confirmé non plus". Mais cela ne tardera pas : le collaborateur est promu associé trois ans plus tard. Il n’a que 34 ans. À 42 ans, il est propulsé à la tête de la pratique européenne M&A de la firme. Son ascension va bon train.

Marathon

Ce surdoué du M&A – il a "toujours aimé les fusions-acquisitions, avec un penchant pour les OPA hostiles (non sollicitées)""adore creuser". Il n’avait pas besoin, dans l’absolu, de boucler un LL.M. à la Harvard Law School en 1999 et une thèse deux ans plus tard. Mais le technicien voulait continuer d’apprendre et de réfléchir. De Harvard, Armand Grumberg a gardé des amis devenus clients. "Cest un privilège d’être leur avocat de confiance et de pouvoir leur donner des conseils pour leurs affaires." Privilège mérité : le spécialiste du M&A soigne ses relations. "Dans tous les domaines de la vie, la loyauté et la fidélité doivent primer. Il faut toujours être loyal, même si lon sen trouve temporairement désavantagé." Armand Grumberg veut "être capable de se regarder dans le miroir". Jamais il n’a regretté cet état d’esprit. Sauf à une occasion, lorsqu’un confrère a divulgué certaines informations confidentielles.

 "La clé, c'est l'équilibre"

Bien sûr, il lui arrive d’avoir peur de l’erreur, d’être allé trop loin dans l’ingénierie juridique : "La matière est technique et complexe." Armand Grumberg a appris à "ne pas répondre trop vite à une question". C’est un méticuleux, toujours vigilant, jamais trop sûr de lui. Un passionné par sa matière, laquelle exige "une compréhension de la culture du client aussi fine que la compréhension du droit". Armand Grumberg n’est pas particulièrement féru d’avion mais voyage beaucoup et se sent à l’aise à l’international… Tout autant que dans sa maison de campagne. L’avocat, pour qui "la famille passe toujours avant le reste", a transmis à ses deux filles de 7 et 10 ans sa passion pour la pêche du brochet et de la truite. Une activité où sa persévérance lui a permis, ainsi qu’à son ainée, de réaliser des prises records : deux brochets de 109 et 93 cm. La pêche "guide les choix des lieux de vacances", accompagne l’évolution de ses enfants et leur enseigne la patience, le plaisir de la victoire et l’acceptation de la défaite. C’est "une forme de méditation", mais pas la seule qu’Armand Grumberg pratique. Avec le temps, le jeune avocat qui "travaillait vingt heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et tenait avec 8 ou 9 Red Bull par jour" a laissé place à un jeune quinquagénaire calme et mesuré. "Jai compris que mon métier était un marathon. La clé, cest l’équilibre." Et une bonne hygiène de vie : Armand Grumberg s’entraîne tous les jours, surveille ce qu’il mange et médite tous les matins. Exit la télé – sauf pour les grands événements sportifs, un épisode de Friends, un film de Claude Lelouch ou Les Bronzés –, l’avocat préfère un bon livre et le grand air. 

Allergie à l'injustice

Toute sa carrière, Armand Grumberg a appris des autres. De Pierre Servan-Schreiber, "qui avait de nombreux talents" et l’a fait grandir dans la profession. De Gérard Mazet, qui lui avait conté le M&A "fait de deux ou trois deals par an, gérés par voie postale", bien avant l’arrivée du BlackBerry et la nécessité d’être "rigoureux et disponible tout le temps". Et de ses clients, "qui sont des personnes intelligentes dont [il] sinspire tous les jours". Au sein du bureau parisien de Skadden qu’il dirige, Armand Grumberg aime cultiver la cohésion des équipes et veut "aider les jeunes à monter". Dans sa vie personnelle aussi, il veut rendre. "Quand on a la chance d’être en bonne santé et davoir les moyens, il faut redistribuer." Certaines causes médicales, comme la lutte contre le cancer ou Alzheimer, sont chères à l’avocat. Il veut aussi soutenir l’égalité des chances et l’accès à l’éducation d’enfants issus de familles moins favorisées. Il finance la scolarité d’un enfant et a demandé, pour ses 50 ans, que ce soit l’école de ses filles qui bénéficie de dons et de cadeaux. Armand Grumberg est "allergique à linjustice". Pas étonnant qu’il ait choisi le droit.

Olivia Fuentes