Le "cas Depardieu" déchire le monde de l’art. Plusieurs tribunes montrent un certain décalage générationnel. Le président de la République, pour sa part, a lui aussi pris position. Par sincérité ou électoralisme ? Dans tous les cas, il s’agit d’un mauvais calcul...

Acteur talentueux pensant que la célébrité lui confère tous les droits ? Symbole d’une société où l’on condamne sans preuve à la mort sociale ? Quelle position adopter face au cas Gérard Depardieu ? Depuis la diffusion de l’émission Complément d’enquête sur France 2 en décembre, la controverse prend une nouvelle ampleur.

Le dossier s’épaissit

Dans une séquence authentifiée par huissier, on voit le monument du septième art sexualiser une enfant nord-coréenne. De quoi donner le haut-le-cœur à n’importe qui et rajouter une pièce au "dossier Depardieu". L’interprète d’Obélix ou de Cyrano a été mis en examen pour viol et agression sexuelle sur la jeune comédienne Charlotte Arnould en 2020. En septembre 2023, c’est l’actrice Hélène Darras qui a déposé plainte pour agression sexuelle, suivie trois mois plus tard de la journaliste espagnole Ruth Baza pour viol. À cela s’ajoutent des témoignages d’autres victimes potentielles recueillis par Médiapart ou France Inter. Soyons clair, pour le moment l’acteur de 75 ans n’a pas été condamné par la justice et reste innocent. Mais deux camps s’affrontent.

Les "boomers" se rebiffent

Les pro-Depardieu sont sortis du bois le 25 décembre dans une tribune publiée dans Le Figaro. Intitulée "N’effacez pas Gérard Depardieu !", elle déplore un "lynchage", un "torrent de haine". Selon eux, "lorsque l’on s’en prend ainsi à Gérard Depardieu, c’est à l’art qu’on s’attaque".

La cinquantaine de signataires a un point commun : son grand âge. Il s’agit de nonagénaires tels Jacques Dutronc, Bertrand Blier, Josée Dayan, Jean-Marie Rouard ou de septuagénaires à l’instar de Charlotte Rampling, Gérard Darmon, Arielle Dombasle, Boualem Sansal. Du haut de ses 56 ans, Carla Bruni fait office de jeune première. La moyenne d'âge des pétitionnaires est de 68 ans. Aucun signataire n’a moins de 50 ans hormis son auteur Yannis Ezziadi, 32 ans, acteur soutenant Éric Zemmour et en quête de lumière. Alertés par le profil de l’initiateur de la tribune et du tollé qu’elle suscite dans l’opinion, certains comme Pierre Richard, Nadine Trintignant, Jacques Weber ou Carole Bouquet ont fait machine arrière.

La moyenne d’âge des signataires de la pétition "pro-Depardieu" dans Le Figaro ? 68 ans !

La riposte

En l’absence de sondage, difficile de deviner si les signataires sont minoritaires parmi les Français. Mais ils le sont clairement dans le domaine de l’art. Une "contre-tribune" relayée par Médiapart le 29 décembre a recueilli l’adhésion d’une centaine d’artistes plus jeunes comme les chanteuses Pomme ou Adé mais aussi l’humoriste Waly Dia. Ils villipendent leurs aînés qui ont pris position dans Le Figaro. Selon eux, il s’agit de "crachats à la figure des victimes de Gérard Depardieu mais aussi de toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles (…). C’est l’inversion des rôles où le bourreau se place en victime avec l’aide de ses amis".

La seconde contre-attaque survient le 1er Janvier dans Libération qui relaie la tribune "L’art n’est pas un totem d’immunité." Le texte affirme qu’"aucun statut, aucune carrière si brillante soit-elle ne saurait se placer au-dessus de la mêlée, et ainsi bénéficier d’une forme d’impunité. Encore moins au nom de l’art (…) Le talent ne justifie pas la transgression des limites et l’atteinte à l’intégrité d’autrui".

Parmi les personnalités ayant apposé leur signature, on trouve des figures du monde de la culture telles que l’actrice Alice Belaïdi, l’animatrice Enora Malagré, l’humoriste Kevin Razy, la chanteuse Cœur de pirate ou encore l’actrice et productrice de films pour adultes Nikita Bellucci. Point important, certains sont de la même génération que Gérard Depardieu. C’est notamment le cas de Muriel Robin, Anne Roumanoff ou Lolita Lempicka. Preuve que la "bataille" entre pro et anti Depardieu n’est pas que générationnelle. Ceux qui souscrivent à cette grille de lecture tombent dans un piège grossier. Le président de la République en personne s’est emmêlé …

Selon l’Ifop, aux européennes, Renaissance est crédité de 5 % chez les moins de 35 ans et de 32 % chez les plus de 65 ans…

Emmanuel Macron s’en mêle

MacronCavous

Le 20 décembre, Emmanuel Macron accueille à l’Élysée l’équipe de C à Vous. Objectif, assurer le SAV de la loi immigration et évoquer d’autres sujets afin "d’allumer des contre-feux" pour reprendre la sémantique des communicants.

Interrogé sur le cas de Gérard Depardieu, le président utilise une argumentation qui se rapproche de celle des signataires de la pétition que Le Figaro publiera cinq jours plus tard. Se définissant comme un "grand admirateur" de Gérard Depardieu qu’il qualifie de "génie de son art" qui a "servi les plus beaux textes" et "rend fière la France", il déplore une "chasse à l’homme". Le chef de l’État a même insinué que la vidéo montrant les sorties scabreuses de l’acteur en Corée du Nord était truquée.

Pourquoi une telle prise de position ? Certains diront qu’il se contente de défendre la présomption d’innocence, d’autres argueront qu’il agit sans réfléchir ni consulter. Il est toutefois possible qu’il s’agisse d’une stratégie politique mûrement pensée.

C’est une règle de base en politique : lorsque les élections approchent, un parti doit solidifier son socle. Que cela plaise ou non, le sien est constitué d’électeurs de plus en plus âgés. La situation est telle que le dernier sondage en date pour les européennes publié par l’Ifop en décembre montre que Renaissance est en passe de devenir un parti générationnel. Crédité de 32 % d’intentions de vote chez les plus de 65 ans, il ne séduirait que 5 % des moins de 35 ans.

En prenant la défense de Gérard Depardieu, le président de la République a peut-être voulu s’adresser aux fans de l’acteur qui constituent un noyau électoral à ne pas négliger. Selon Médiamétrie, C à vous est d’ailleurs l’une des émissions à l’audience la plus âgée du PAF : 67 ans.

S’il s’agit d’une stratégie électoraliste, Emmanuel Macron s’est probablement fourvoyé. Un parti doit soigner sa base, mais est également tenu de l’élargir, ce que la saillie du président ne permet pas. Par ailleurs, il suppose que la majorité des personnes âgées sont sur la même position concernant Gérard Depardieu. Un pari risqué qui pourrait contribuer à pénaliser Renaissance aux élections européennes de juin.

Lucas Jakubowicz