La mystérieuse liste "Alliance rurale" a lancé officiellement sa campagne pour les européennes le 5 décembre. Certains dénoncent une initiative commanditée par l’Élysée pour siphonner des voix au RN. Si cela est vrai, c’est stratégiquement peu pertinent.

Ambiance bon enfant ce 5 décembre à l’étage d’un restaurant auvergnat de Paris. Avant de s’attabler autour d’un aligot, Willy Schraen, médiatique président de la Fédération nationale des chasseurs, présente à la presse l’Alliance rurale, la liste qu’il conduira aux élections européennes.

"Ruralité heureuse"

L’objectif de cette nouvelle création politique ? Défendre le "bon sens paysan", être le porte-voix de "la ruralité heureuse" qui demande "simplement à ce qu’on lui foute la paix". Sur le plan idéologique, le mouvement se veut le porte-voix des chasseurs, des pêcheurs, des terroirs. Sur la liste, aucun élu connu mais des figures du monde rural telles que Camille Hoteman "reine d’Arles" et ambassadrice des traditions provençales et taurines, Véronique Langlais patronne du syndicat des bouchers de Paris, Jérémy Grandière, président de la fédération des pêcheurs d’Ille-et-Vilaine ou encore l’ancien joueur de rugby Louis Picamoles.

Piéger le RN ?

Pour certains observateurs de la vie politique et le RN, la liste est pilotée en sous-main par l’Élysée pour faire baisser le score de Jordan Bardella. Les partisans de cette thèse pointent les très bonnes relations qu’entretiennent Willy Schraen et Emmanuel Macron. Baisse du prix du permis de chasse, chasse à la glu, ode à la cynégétique… Depuis 2017, le chef de l’État choie les chasseurs. En remerciement, Willy Schraen a appelé à voter pour lui à la dernière présidentielle en se montrant dithyrambique à l’égard du président-candidat : "Aucune loi ou amendement pour abîmer la chasse n’a été adoptée dans ce quinquennat. À chaque fois qu’on a eu un problème à régler avec un ministre de l’Écologie, il est intervenu", avait-il déclaré au Parisien.

Certains pensent que l’Alliance rurale s’inscrit dans le cadre des bonnes relations entre les deux hommes. Ce qu’a nié à plusieurs reprises Willy Schraen le 5 décembre : "Nous ne sommes pas les soldats occultes d’un parti politique", "ce n’est pas un stratagème imaginé au Château".

L'Alliance rurale est une sorte de revival de Chasse, Pêche, Nature et Traditions. Dans les anciens "fiefs" du mouvement, Renaissance est plus fort que le RN

Stratégie bancale

Si l’on se fie aux chiffres, il est possible de lui donner raison. L’Alliance rurale est une sorte de revival de Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) qui a obtenu 4,2 % des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2002. Leur candidat Jean Saint-Josse avait notamment obtenu des scores élevés dans le Cantal et le Gers (12%), ainsi que dans les Landes (11%).

Dans ces trois départements, au premier tour de la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron y devance à chaque fois Marine Le Pen notamment grâce à son soutien aux chasseurs. Se tirer une balle dans le pied dans des zones où Renaissance est susceptible d’obtenir des scores élevés serait une erreur d’amateur. Inversement, CPNT avait obtenu des scores peu supérieurs à sa moyenne dans les "fiefs" du RN que sont le Nord, le Pas-de-Calais, le Vaucluse, l’Aisne ou encore la Haute-Marne.

Pour le moment, l’Alliance rurale n’a pas annoncé d’objectifs en termes de scores. Un sondage publié en novembre (avant le lancement de la liste) créditait l’initiative de 1 %. Loin, très loin de leur modèle Jean Saint-Josse et ses 6,77 % aux européennes de 1999.

Lucas Jakubowicz